Une surprenante série espagnole, Los Favoritos de Midas (Coup pour Coup en français), inspirée par une idée de Jack London, nous offre une histoire captivante qui, derrière une fausse apparence de thriller, parle très bien de l’état de nos sociétés en 2020.
2020, la pandémie du Covid 19 n’est pas survenue, mais Madrid est à feu et sang : la version locale des gilets jaunes a dégénéré en un affrontement global entre le gouvernement (et les « puissants » de l’économie) et le peuple. L’un des capitaines d’industrie les plus en vue se retrouve victime d’un chantage particulièrement original et pervers : il doit payer 50 Millions d’Euros à une mystérieuse organisation, « les favoris de Midas », faute de quoi, tous les 5 jours, un inconnu sera exécuté. Cela tombe très mal pour Víctor Genovés, car son ex-femme le poursuit en justice parce qu’il ne consacre pas assez de temps à leur fils, tandis que son journal est soumis à une pression destructrice de la part des actionnaires dont un article a révélé les compromissions avec le régime syrien. Bref, c’est l’enfer !
Cette histoire impressionnante, qui va se dérouler – et se dénouer – en 6 épisodes de 50 minutes de la mini-série espagnole Los Favoritos de Midas est inspirée d’une nouvelle de Jack London (les Spadassins de Midas, ou encore Coup pour Coup) écrite en 1901, et traitant déjà d’un mystérieux groupe de prolétaires nihilistes rançonnant des capitalistes et choisissant leurs victimes au hasard : 120 ans plus tard, on est obligé d’avouer que le génial écrivain américain avait tout compris des mécanismes du pouvoir, de l’argent, et des rapports de force entre dominants et dominés. Ce qui paraissait sans doute de la science-fiction en 1901 nous semble totalement crédible aujourd’hui…
La grande, grande force de la passionnante série de Mateo Gil et Miguel Barros est de nous parler avec lucidité de l’horreur actuelle : réunion de la commission européenne à Madrid déclenchant la rage des manifestants, violences policières causant la mort de manifestants, développement incontrôlable du digital dévorant ce qui reste de la presse traditionnelle, échanges de bons procédés entre politiques et business men, corruption endémique dans tous les cercles de pouvoir, etc. etc. Coup pour Coup est un catalogue souvent révoltant, mais jamais exagéré des grands vices et des très petites vertus de nos démocraties occidentales.
Et au niveau humain, nulle salvation possible : l’amour, refuge un temps idyllique contre la laideur et la brutalité du monde, ne fait tout simplement pas le poids devant le pouvoir, tandis que les enfants, peu intéressés par l’affection de leurs parents, ont tôt fait de vouloir plutôt profiter de leurs privilèges. La conclusion de la série est remarquable, d’une noirceur – d’une lucidité – rare, avec un dernier épisode qui coche toutes les bonnes cases, à la différence de 90% des spectacles populaires diffusés par Netflix et les autres plateformes : sans explication inutile, sans ménagement des sentiments ou même du sens moral du téléspectateur. On en prend plein la figure…
S’il y a un problème, qui explique sans doute des réactions souvent mitigées face à une série qui nous a, nous, enchantés, c’est que l’on pense sans doute trop longtemps avoir à faire à un « simple » thriller, où il importera de savoir qui est derrière tout ça, et donc avoir des réponses simples à la fin. Mais, comme dans la vie, la vraie, Coup pour Coup n’offre ni solution, ni réponse : la série se contente (?) de brosser un portrait juste, précis, accablant, de notre « civilisation », et pour ça, mérite toute notre attention.
Ah, on oubliait de le dire : le rôle principal est tenu par Luis Tosar, l’un des trois ou quatre plus grands acteurs espagnols de notre époque. Et il est formidable.
Eric Debarnot