Grâce au superbe graphisme atypique de David B., mais aussi à un scénario qui apporte des éléments importants à la compréhension de l’univers du Donjon, tout en dégageant une émotion inédite, Réveille-toi et meurs se place d’emblée parmi les plus grandes réussites de Sfar et Trondheim.
Au sein de la proliférante série Donjon de Sfar et Trondheim, qui est repartie de plus belle en janvier dernier après cinq ans d’arrêt, la branche « Donjon Monsters », dont les récits ne se succèdent pas en ordre chronologique, justifiait à l’origine son existence en « racontant l’aventure d’un personnage secondaire de Donjon ». Très rapidement, toutefois, Monsters s’est transformée en opportunité pour les auteurs de remplir, a priori ou a posteriori, des « trous » dans leur narration, d’expliquer les nombreuses et surprenantes métamorphoses de leurs héros et de l’univers de Terra Amata.
Réveille-toi et meurs, 13ème tome de Monsters, venant se loger au niveau 79 de la chronologie compliquée du Donjon est dans ce sens un véritable événement pour les accros, parce que son intrigue – délirante comme toujours, mais largement psychédélique cette fois – va nous dévoiler les origines du « Roi Poussière », personnage-clé de la branche « Crépuscule », et mettre en scène une confrontation très significative entre Marvin et Herbert, qui contribue à la construction de l’univers postapocalyptique de cette même branche, en expliquant – enfin, car ça fait 20 ans qu’on attend ça ! – la métamorphose d’Herbert… Et si l’on ajoute que le personnage de Réveille-toi et meurs n’est pas vraiment secondaire, puisqu’il s’agit ni plus ni moins que de Hyacinthe, le gardien du Donjon, qui va voir ici, et post- mortem, revivre sa passion pour la tueuse Alexandra, il y a de quoi frétiller littéralement d’excitation !
Mais, bien entendu, le véritable événement ici, c’est la participation de l’extraordinaire David B. – inoubliable auteur du chef d’œuvre l’Ascension du Haut Mal, au dessin. Son approche fortement non-conventionnelle de la BD transcende littéralement l’univers créé par Sfar et Trondheim, et nous offre plusieurs pages réellement magnifiques graphiquement : la représentation que nous livre David B. d’une bataille dantesque entre une armée de squelettes animés par Marvin et les dragons du Grand Khan de Vaucanson est tout simplement époustouflante.
Si l’humour est bien entendu encore présent (avec beaucoup de plaisanteries potaches sur la fumette…) dans ce tome plus dramatique que la majorité du Donjon, et si la fin est superbement tragique, on retiendra surtout la poésie et l’émotion intenses qui se dégagent du périple à la fois guerrier et amoureux de ces deux squelettes aveugles et liés par un passé commun qu’ils ont oublié, mais qui refuse de mourir.
Bref, expérience émotionnelle étonnante en dépit (ou à cause… ? ) de la profonde morbidité de son histoire, Réveille-toi et meurs est bel et bien l’un des sommets de la série !
Eric Debarnot