Manaus de Dominique Forma, un (court) roman noir, poisseux qui nous parle des hommes derrière l’Histoire, derrière le décor, là où il fait nuit, où les balles sifflent ; là où ça sent la transpiration, la trahison et le sens du devoir. Où l’amitié compte. Un peu. Beaucoup. À la folie. Pas du tout. Un peu. Beaucoup.
L’Amérique du Sud, l’Argentine, le Brésil, l’Amazonie, Manaus, la forêt primaire, la nature sauvage… cet ailleurs si exotique qui fait rêver, fantasmer les occidentaux depuis des décennies, la forêt primaire, les espèces rares, les oiseaux qui chantent mais aussi les serpents et les moustiques. Une nature pas amicale pour un sou. On y transpire – surtout à cause de la chaleur et de l’humidité. On ne s’y sent pas si bien que ça – la nature n’aime pas tellement les êtres humains ! Il n’y a pas que la chaleur qui fait transpirer. La peur aussi donne chaud. Il n’y a pas que les serpents qui sifflent. Les balles aussi. Il n’y a pas que les moustiques qui piquent, les couteaux aussi. Il n’y a pas que la nature qui n’aime pas les êtres humains. Les êtres humains ne s’aiment pas non plus. Pas beaucoup. Un peu. Quelques fois. C’est cette hésitation, cette peur, cette transpiration, que raconte Dominique Forma.
Un ancien militaire qui travaille maintenant pour « les services » se retrouve en Argentine pour une mission juste avant que la visite officielle du Général de Gaulle fin 1964 en Amérique du Sud – on oublie souvent qu’il y a passé trois semaines en pleine guerre froide, à un moment où les Américains (du Nord) considèrent déjà que le sous-continent leur appartient, où les nazis qui ont fui l’Europe après la deuxième guerre mondiale sont encore bien vivants, où s’étaient aussi réfugiés pas mal de français chassés d’Algérie à la fin de la guerre et qui n’étaient pas toujours bien intentionnés vis-à-vis du Général. En tout cas, c’est ce qui justifie la mission de notre militaire et qui est le point de départ de Manaus. Une mission qui se déroule dans une cocotte minute.
Et une mission, comme toutes celles dont parle la littérature d’espionnage, qui se déroule mal – sinon, à quoi bon la raconter. Mais ici ce n’est pas ce qui va de travers qui est importe. Ce qui compte c’est avant tout l’histoire de deux hommes qui se battent pour une cause, pour quelque chose qui les dépasse et qui les aliène. Deux hommes qui ont servi dans l’armée française en Algérie. Ce qui a nourri une forte amitié – celui du militaire pour un autre militaire –, une amitié gagnée dans des conditions dures, un profond respect – celui du subordonné pour son supérieur. Mais il y a toujours un supérieur au-dessus de ce supérieur. Une autre cause qui demande sacrifice. Qui demande le sacrifice de l’amitié. C’est triste mais beau. Beau comme ce qui est inévitable mais qu’on affronte avec dignité, en se regardant en face. Trahir le doigt sur la couture du pantalon. Pour le Bien.
C’est beau et raconté d’un trait. Un style sobre, efficace, plein de retenue – la retenue militaire des « héros ». Beau et sec comme du Meville. Avec, dans le rôle principal, un Alain Delon taiseux et renfrogné. Un roman en noir et blanc qui se lit d’une traite.
Alain Marciano