Avec Empire State, paru chez Cambourakis, Jason Shigapropose une histoire douce, pleine d’autodérision, d’humour et de références à la pop culture, dévoilant un aspect inattendu de son talent.
Jimmy, un geek timide et maladroit de 25 ans et d’origine asiatique, déclare sa flamme par courrier à Sara, sa meilleure et seule amie. Dans la foulée, il quitte Oakland par bus pour la rejoindre à New-York. Il lui donne rendez-vous au coucher du soleil au dernier étage de l’Empire State Bulding, un hommage appuyé à Nuits blanche à Seattle. Cinq jours plus tard – les États-Unis sont grands –, il découvre que sa lettre s’est perdue et que Sara, une fille forte, voire rugueuse, vit en couple avec un informaticien. Il appréciera la ville et l’informaticien, mais reprendra l’avion pour la Californie. Voilà pour le pitch, il reste à le mettre en image
Si les éditions Cambourakis nous proposent un bel objet, avouons que le trait de Jason Shiga est minimaliste. Curieusement, il n’utilise pas toute la page, mais joue avec le placement de ses cases. Les personnages sont petits, ronds et bossus. Les expressions de ces hobbits sont réduites au minimum. Le travail sur les rares décors est plus classique. Les perspectives sont justes, les immeubles sont mieux traités que leurs habitants. Pourtant, une fois passée la surprise des premières pages, les héros se révèlent attachants et le dessin est mis au service d’un texte de qualité : « T’avais raison pour ces foutus hipsters. Les pires ce sont qui se plaignent de ces foutus hipsters alors qu’ils ne se rendent pas compte qu’ils sont eux-mêmes de foutus hipsters. »
En cassant la linéarité du récit, le scénario brouille astucieusement les cartes. Éternel adolescent, Jimmy peine à grandir, entre un petit et confortable boulot à la bibliothèque, les déjeuners avec sa mère qui s’inquiète pour son avenir et voudrait bien des petits-enfants, et son ordinateur. Il maintient le monde à distance, l’observant avec un détachement désabusé qui évoque, en plus sage, celui du jeune Woody Allen.
Nous suivons avec intérêt l’éducation sentimentale de Jimmy, une histoire douce, pleine d’autodérision et de références à la pop culture, qui fait découvrir une facette inattendue, et probablement pour partie autobiographique, de Jason Shiga.
Stéphane de Boysson