Lorsque le « blues du confinement » se fait trop lourd, faites la fête comme en 1979, imaginez que Bowie et Freddy Mercury sont encore vivants, et lancez-vous dans une valse funky spatialo-robotique pailletée avec synthés et saxos, sur l’incroyable RAZZMATAZZ de iDKHOW, un groupe qui vous veut énormément de bien.
Allez, avouons-le, à notre avis, I DON’T KNOW HOW BUT THEY FOUND ME est bien placé pour remporter le titre envié de meilleur nom de groupe en 2020 – même s’ils existent depuis 2016. Dallon Weekes et Ryan Seaman, les rockers nostalgiques de Salt Lake City – où il semble y avoir un « nid » de fous furieux (Remember Gathering Swans ?) qui regrettent tellement de ne pas avoir eu 20 ans à Londres en 1979 qu’ils font comme si la Dolorean du Dr. Emmett Brown leur permettait de se faire des allers-et-retours incognito entre 2020 et le début des années 80 – ont fondé leur groupe en 2016, mais RAZZMATAZZ, sorti fin octobre, est leur premier véritable album après deux EPs.
Un rapide passage sur leur site confirme ce que l’écoute – stupéfaite – de RAZZMATAZZ laisse supposer : voilà deux jeunes gens qui se déclarent « hors du temps », qui sont fans de Bowie, Bolan, Costello, Joe Jackson… et on arrêtera là pour vous laisser le plaisir de découvrir vous-mêmes les références exhibées sans fausse honte dans un album… complètement, mais alors totalement REJOUISSANT (oui, on écrit en majuscule, comme Weekes, et aussi comme Trump, ça donne l’impression qu’on crie, non ?).
Si le funk blanc et lyrique – et assez irrésistible, aussi – du morceau d’ouverture, Leave Me Alone, fait un peu trop Fame pour son bien (Bowie, on vous dit…), on doit admettre ensuite que iDKHOW (car c’est comme ça que ça s’écrit…) ne font pas qu’à copier. Ils sont à fond dans le trip, leur enthousiasme déborde à chaque chanson, et surtout, surtout, leur inspiration ne se tarit quasiment jamais au long des 37 minutes presque parfaites de leur album. Un album qui présente une particularité assez peu courante, mais qui nous réjouit à chaque fois qu’on la rencontre, c’est de commencer par les moins (relativement) bons morceaux pour s’épanouir progressivement et atteindre dans sa dernière partie une étonnante splendeur : comment résister aux mélodies accrocheuses de la rêveuse Kiss Goodnight, de l’ultra-rétro-moderne Lights Go Down (un petit coup de vocoder joueur, et beaucoup de synthés vintages en roue libre !), de la valse électronique à haut potentiel émotionnel Need You Here, et surtout du superlatif et très théâtral Razzmatazz – la plus belle chanson purement pop de l’année ? – qui clôt l’album de manière parfaite ?
Alors, RAZZMATAZZ, trop kitsch, trop eighties ? Loin de là, car, on s’en doute, derrière toutes ces étincelles qui nous éblouissent, toutes ces paillettes qui évoquent une fête sans fin, il est aisé de mettre le doigt sur une sourde désillusion, très typique de nos sinistres années 20. Considérez seulement le règlement de comptes de Leave Me Alone : « Four in the morning but we’re having such a lovely time / Mad as a hatter with a dagger and a dollar sign / Aristocrat, tip your hat and break your mother’s heart / And when the sun comes up you’ll find a brand new god » (Quatre heures du matin mais nous passons un très bon moment / Fou comme un chapelier avec un poignard et le symbole du dollar / Aristocrate, lève ton chapeau et brise le cœur de ta mère / Et quand le soleil se lèvera, tu trouveras un tout nouveau dieu »). Considérez aussi le manque complet d’illusions dont témoigne le remarquable Clusterhug derrière sa mélodie (faussement) emphatique / euphorique : « We can go to town, we can turn around, we can do anything / Disseminate disease, doing anything that we please / … / Oh, we can turn around, we can burn this town to ash / As charming as we are, we are nothing but pretty trash » (On peut aller en ville, on peut en faire le tour, on peut tout faire / Disséminer la maladie, faire tout ce que l’on veut /… / Oh, on peut en faire le tour, on peut réduire cette ville en cendres / Aussi charmants que nous soyons, nous ne sommes rien que de jolies ordures…).
Quant à la complainte douce-amère de Nobody Likes The Opening Band (« Take pity on the opening bands / ‘Cause no one came to see them except their mom and dad / But if you lend an ear and give them just one little chance / You may just like the opening band » – « Ayez pitié des groupes de première partie / Parce que personne n’est venu pour les voir, sauf leur maman et leur papa / Mais si vous prêtez l’oreille et vous leur donnez juste une petite chance / Vous aimerez peut-être le groupe de première partie »), elle respire trop la franchise, la peine et les galères pour passer pour de l’humour. Ou alors de l’humour plutôt désespéré d’un compositeur excessivement doué, qui joue avec l’idée de présenter son groupe comme une relique du passé, de ces fameuses années new wave, qui serait passé inaperçu à l’époque et que l’on pourrait (re)découvrir aujourd’hui…
Back to the Future ou bien Back from the Past ? on se demande…
Eric Debarnot