Pour leur quatrième album, le groupe de Philadelphie Nothing explore via les dix titres de The Great Dismal le thème de l’apocalypse, de l’isolement et du déclin civilisationnel. La bande originale de 2020 ?
Si l’on avait parlé de bombe à quelques semaines de la fin cette funeste année 2020, on aurait immédiatement pu penser à un énième élan impulsif et « Folamouresque » de la part de Donald Trump qui, dans son désarroi post-électoral, aurait fini par appuyer sur un quelconque bouton rouge. Que l’on se rassure, cette bombe-ci est seulement d’ordre musical, et elle a été larguée par Nothing, quatuor de Philadelphie formé en 2011, qui – jusqu’à présent assez discret – ne réalise sans doute pas l’impact de son The Great Dismal.
C’est la photographie d’un trou noir publié par la NASA en 2019 dans le New York Times qui a été l’impulsion initiale de l’inspiration de Domenic « Nicky » Palerom, le guitariste et chanteur du groupe : « Le monde est en train de s’enflammer. » C’est donc « ce parfum de fin de monde dans l’air et l’absence de choses auxquelles se rattacher », tels que les décrit Nicky, qui constituent le fil directeur de l’album.
On trouve aussi sur The Great Dismal des morceaux plus intimes, axés sur l’introspection personnelle, comme Blue Mecca, qui raconte l’histoire du père de l’un des membres du groupe, qui a vainement tenté de se reconstruire dans la religion pour fuir les démons du passé et le stress post-traumatique de la guerre, ou encore Ask The Rust, qui retrace les années de réhabilitation et de réinsertion dans la société du chanteur après sa sortie de prison (Domenic Palermo a été incarcéré deux ans suite à une bagarre avec tentative d’homicide à l’arme blanche, ndlr). On note également de l’omniprésence quotidienne du passé et des regrets, revenant sous la forme de cauchemars.
Si A Fabricated Life, le premier des dix titres de l’album, est une superposition d’accords planants, de harpe et de cordes dopées à la reverb, formant une entrée en matière très cinématographique, la suite est beaucoup plus cinglante ; on ne lésine pas sur la fuzz (à un tel point que April Ha Ha – co-écrite avec Alex G. – a une ressemblance presque insolente avec un titre de Nirvana que l’on ne nommera pas) durant les quarante minutes suivantes, le tout oscillant avec un équilibre parfait entre un shoegaze aérien et un punk hardcore qui rappelle bien les racines stylistiques des deux premiers EPs du groupe.
En somme, malgré une configuration lo-fi minimaliste et un début de carrière relativement timide outre-atlantique, Nothing est parvenu à produire un disque tellement sombre, qu’à l’instar d’un Cure ou d’un Bauhaus de la belle époque, il happe vite l’auditeur dans un tourbillon de mélancolie presque étouffant… mais tellement plaisant que l’on ne se lassera pas d’y replonger, pour l’écouter en boucle.
Nayl Badreddine