Pour saluer l’hommage offert par la plateforme de diffusion de films en ligne La Vingt-Cinquième Heure à l’important Raymond Depardon lors de son exhaustive rétrospective du 28 novembre au 4 décembre dernier, à travers la projection de 10 longs métrages et huit courts, focus sur 12 jours, la dernière œuvre saisissante du réalisateur.
Ce témoignage cinématographique sans jugement, met en lumière les douleurs psychiques, l’enfermement, la vulnérabilité sociale et l’écoute judiciaire au sein d’un établissement psychiatrique, dans le cadre d’un enfermement contre son gré.
L’immense photographe Raymond Depardon repasse derrière la caméra pour nous offrir un documentaire entre les murs d’une institution, comme il l’avait déjà fait avec le terrifiant San Clemente (1980), le bouleversant Urgences (1988), l’excellent Délits Flagrants (1994) et l’admirable 10ème chambre, instants d’audiences. Mais cette fois, il décide de mêler la psychiatrie avec la justice au centre hospitalier Le Vinatier à Lyon, en dépeignant la loi des « 12 jours », laps de temps pendant lequel un juge doit auditionner un malade mental, enfermé contre son consentement, pour voir avec lui s’il peut retrouver la liberté ou s’il doit encore rester hospitalisé pour prolonger les soins. Dès la première scène, Le réalisateur nous fait pénétrer au cœur de l’établissement par un plan-séquence entre les couloirs, une traversée vers l’antre de la folie avec une composition du cadre remarquable.
Comme à son habitude, le cinéaste opte pour une mise en scène sobre mais particulièrement pertinente dans son dispositif minimaliste mis en place majoritairement dans la petite salle d’audience où, tour à tour, dix patients vont venir s’exprimer devant le juge pour « jouer » une partie de leur avenir. Une captation clinique où l’encéphalogramme jamais plat se pose toujours à bonne distance de tous les intervenants.
La caméra quant à elle suit en plans fixes les échanges en champ contre champ, et donne le même espace égalitaire d’écoute. Des destins de vies brisés dont la caméra de Depardon s’empare avec subtilité, pour tendre un miroir de l’état du monde, de la violence en milieu tempéré dans le domaine du travail, social, familial ou amoureux, des fêlures conduisant au basculement et dont nous sentons en nous-même toutes ces fragilités.
Ces discussions qui partent de travers nous interpellent tout comme la citation du philosophe Michel Foucault : « De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou » placée en exergue au début du documentaire revient sans cesse en mémoire, au fil des maux dévoilés par des chemins de traverses psychiques donnant à écouter des vérités sur notre société.
La caméra de Raymond Depardon panse pour mieux réfléchir, sans oublier d’enregistrer les failles dans les réponses que la médecine peut offrir ainsi que le positionnement de l’écrasante machine judiciaire incapable d’offrir des solutions mieux adaptées à chacune des situations complexes. Un voyage au centre du désespoir, où la conscience vacille comme parfois les juges, semblant désemparés eux aussi devant certains cas, illustré par un récit implacable où la narration empathique offre sans commentaire, une résonnance inédite à ces situations tragiques. Le cinéaste guidé par la superbe partition musicale du compositeur Alexandre Desplat, se libère quelquefois de sa boîte de Pandore pour filmer avec une débordante compassion les âmes marchant dans des cours intérieures ou errant au milieu de ces couloirs où la vie a perdu tout sens commun au milieu de la brume…
Venez écouter avec bienveillance ces êtres marginalisés emplis de souffrances, qui ont dégringolé et espèrent tous se relever pour ne pas dépasser les 12 jours. Sidérant. Intense. Humain. Émouvant.
Sébastien Boully