Crazy Hearts est un album complexe, plein de nuances. Un album qui part dans tous les sens, avec une énergie créatrice passionnante. On suit les Half Japanese dans leurs délires musicaux avec un grand plaisir. Et puis il y a la pochette – un petit bijou !
Jad Fair n’est pas quelqu’un de rare ou d’avare de ses efforts. Il y a d’abord et évidemment la musique. Half Japanese – le groupe qu’il a fondé avec son frère au milieu des années 1970 – et ses 19 albums studio. Les collaborations – dans le désordre et sans souci d’exhaustivité, John Zorn, Yo La Tengo, Daniel Johnston, Norman Blake (Teenage Fan Club), Stevie Moore, John Willet. Petit détail croquignolet, sur son site, Jad Fair propose de nous écrire une chanson à la demande : “Mr. Fair will record a song for you for $300. Let him know the subject, and anything specific you want said such as Happy Birthday Joe, Don’t give up, or Congratulations Mary. » Il y a aussi le dessin / peinture / papiers découpés Jad Fair est aussi un artiste visuel qui expose régulièrement et qui a signé la plupart des pochettes des albums, singles et EPs de son groupe. Non, Jad Fair n’est ni rare ni avare de ses efforts. C’est pourtant avec toujours le même plaisir qu’on découvre chaque production de Jad Fair, chaque album du groupe Half Japanese. C’est le cas avec Crazy Hearts.
Crazy Hearts s’inscrit donc dans la continuité de ce que le groupe fait depuis longtemps. On y retrouve ce qui fait le succès du groupe, et notre plaisir, ce côté lo-fi, punk, alternatif, désaccordé, foutraque. En même temps, Crazy Hearts est un album sophistiqué ou complexe – pas parce qu’il y aurait des tonnes d’arrangements ou de violons mais parce que les morceaux sont pleins de petites trouvailles, de petits recoins surprenants à découvrir à chaque écoute. La voix assez particulière de Jad Fair – qui parle plus qu’il ne chante – construit avec sa voix particulière, grasseyante et nasillarde des ambiances inquiétantes et sombres – The Beat Master ou A Phantom Menace – ou plus détachées et décontractées, ensoleillées – Wondrous Wonder ou Crazy Hearts, le morceau. Certains morceaux sont très rocks, avec des guitares très présentes – The Beat Master ou, l’excellent, Dark World. D’autres sont plus ballades – As Best You Can, A Job Well Done, Let It Show – baltringue – And It Is ou le légèrement chaotique (bordélique?) My Celebrity, inharmonique au possible où les guitares alternent les passages lents et les reprises enjouées. Les guitares sont donc assez présentes, l’orgue – genre Bontempi – et la basse aussi– sur And It Is, les deux se mélangent et se répondent en solos successifs. Bref, un album qui part dans tous les sens. Sans que ce soit dérangeant. Au contraire, on suit très volontiers Jad Fair et les Half Japanese dans leurs délires musicaux. Certains morceaux sont plus réussis que d’autres mais Crazy Hearts reste un grand plaisir.
Alain Marciano