Il était difficile de ne pas se réjouir à l’annonce de la sortie pour la saison des cadeaux de Noël d’un album « de confinement » de la part de McCartney. La déception est à la hauteur de nos attentes…
McCartney III s’inscrit de par son titre, et sa confection – Paul McCartney en solo, un disque enregistré à la maison – au sein de la discographie désormais pléthorique du porteur de la « marque Beatles » comme le troisième album d’une trilogie paradoxale : un premier album au moment de la rupture des Beatles, un second suite à la disparition de Wings… et un nouveau en 2020, c’est-à-dire l’année de la fin du monde tel qu’on le connaissait ?
Dans la suite de plusieurs très beaux albums « de confinement » sortis cette année, on espère bien logiquement (trop logiquement ?) un disque pas surproduit (à la différence de la plupart des œuvres habituelles de Paulo…). « Enregistré à la ferme, dans le Sussex », voilà une expression qui nous met aussi l’eau à la bouche : on sait le bien que fait à McCartney le retour à une simplicité « bucolique », proche de la naïveté, tout comme dans le merveilleux Ram. McCartney III ne correspond malheureusement à aucune de ces attentes. Le disque est surchargé de claviers, de synthétiseurs, d’instruments en général, et semble largement « urbain », à l’exception du dernier titre, le joliment terre-à-terre Winter Bird / When Winter Comes, qui clôt l’affaire comme on aurait tous préféré qu’elle se déroule (10 chansons comme ça, même sans plus rien du génie mélodique d’antan, même avec une voix en guenilles, et on aurait eu un album qu’on se serait sentis capables d’aimer…).
L’intro, quasi-instrumentale, Long Tailed Winter Bird, assez bancale, est déjà très inquiétante, et ne tient la route que grâce à cette sorte d’enthousiasme quasi enfantin qui a souvent caractérisé les entreprises du gentil Paulo. La voix, déjà le point faible de l’album précédent, semble cette fois avoir lâché McCa… Et Find My Way, qui veut sans doute se référer à l’héritage beatlesien, confirme la laideur et la banalité qui seront la norme : une mélodie minimale, des claviers et des synthés affreux, et, donc, malheureusement, des vocaux à la limite de l’audible. On se plaignait, à juste titre, sur les derniers albums de Neil Young du même délabrement du chant, mais l’affront des années était au moins lavé par la brutalité du traitement et le « je-m’en-foutisme » provocateur du Loner. Ici, rien pour rattraper la sauce, au contraire…
Pretty Boys, avec ses arpèges de guitare, laisse pointer l’illusion du bonheur d’une chanson simple, mais c’est cette fois l’absence de mélodie notable qui fait mal. Women and Wives, à la mélancolie gracieuse, est probablement la seule vraie bonne chanson de tout l’album. McCartney III continue à se redresser avec Lavatory Lil’, deux minutes et demie de blues basique comme McCa a toujours aimé en jouer : c’est totalement anodin, mais au moins c’est ludique !
On en arrive malheureusement au « gros morceau de l’album », Deep Deep Feeling, dont les 8 minutes nous laissent espérer l’un de ces puzzles mélodiques qui ont souvent été les plus belles illustrations du génie de McCa depuis la seconde face d’Abbey Road. Las ! On se sent vite désemparés devant cette lente dérive d’électro-soul qui ne mène nulle part. Peut-être ce titre plein de vide a-t-il le mérite de l’originalité dans la discographie de McCa : reste que ça n’a jamais été sur le terrain de l’expérimentation que l’on a attendu petit Paul !
Slidin’ soulage après un tel pensum malgré son manque d’originalité : voilà un blues très lourd, avec un peu d’électricité brute, organique, qui permet d’oublier l’anonymat des sons synthétiques qui ont précédé. On revient à l’acoustique – des arpèges, encore – sur The Kiss of Venus, avec sa mélodie simpliste et pas forcément désagréable, mais encore une fois trahie par la voix. Décidément, il va falloir que McCartney arrête ce genre d’exercice !
Il semble que le « message », derrière tout ça, est qu’il faut « profiter de la vie tant qu’elle dure » : Paul McCartney n’a jamais été un grand penseur, donc nous n’épiloguerons pas là-dessus. Seize the Day (« Carpe Diem » pour les latinistes) défrisera les derniers optimistes quant à la profondeur de son esprit : « When the cold days come, and the old ways fade away / There’ll be no more sun, and we’ll wish that we had held on to the day / Seize the Day » (Quand les jours froids viendront et que les anciennes habitudes disparaitront / Il n’y aura plus de soleil, et nous souhaiterons avoir mieux profité de nos jours / Carpe Diem)…
Mais comme avec McCa, le pire est presque toujours certain, il nous faudra encore avaler les six minutes « modernes » et pompeuses du hideux Deep Down, qui ne prouve qu’une chose, c’est que, quand on a écrit Yesterday ou Penny Lane, on ne devrait surtout pas chercher à imiter la soupe R’n’B qui se vend en ce moment. Et que nul n’a besoin en 2020 d’un soul brother multimillionnaire et bientôt octogénaire, qui rappe dans sa ferme du Sussex.
On avait réappris à aimer McCartney au cours des deux dernières décennies, on avait réévalué une belle partie de sa discographie, par la grâce de mélodies qui survivaient n’importe quel traitement ; il ne faudrait pas que des désastres comme cet album s’accumulent trop… et viennent gâcher tout ça…
Eric Debarnot