30 minutes déchirantes d’un folk quasi primitif, voilà le cadeau miraculeux que nous offre avec son Stay Alive l’icône punk américaine Laura Jane Grace : un album vital.
Laura Jane Grace n’est pas (encore) quelqu’un de très connu de ce côté de l’Atlantique, à la différence des USA où elle bénéficie d’une position quasi-iconique de punk rocker anarchiste (avec son groupe Against Me!, souvent considéré comme l’un des combos les plus importants du genre) et d’activiste transgenre (son premier EP solo, Heart Burns, avait d’ailleurs été publié en 2008 sous son « deadname », Tom Gabel…). Il est plus que temps de rattraper notre retard et de ne pas passer à côté de l’un des artistes les plus intéressants qui soit dans l’underground américain, et ça tombe bien, car Laura a sorti son second album solo en octobre dernier, le virulent – et souvent bouleversant – Stay Alive, enregistré ni plus ni moins que par Steve Albini (si l’on ne parle pas forcément de production, ça s’entend dans l’honnêteté de la transcription de la colère de Laura) dans son studio de Chicago, Electric Audio.
On nous explique que Stay Alive est encore l’un de ces albums engendrés par le Covid19, et si l’on considère en toute objectivité la qualité de la plupart de ces productions « à part » d’artistes qui ont secoué leur routine et ont réenvisagé leur musique différemment sous la contrainte de l’isolement, de l’arrêt des concerts, et, peut-être encore plus, sous l’influence des tensions sociétales qui se sont exacerbées, on va finir par admettre qu’il peut y avoir un (petit) côté positif à cette situation affreuse que nous vivons tous. Bref, Laura a rassemblé des chansons à elle qui traînaient par-là, certaines depuis deux ans, et qui auraient dû être enregistrées en format « groupe / électrique », a composé deux ou trois nouvelles choses, a empoigné sa guitare acoustique et est allée chanter au Studio d’Albini pour enregistrer le plus rapidement possible cet album.
Le résultat est un enchantement pour tous ceux qui aiment que la musique secoue le cœur et déchire l’âme. A une autre époque, on aurait peut-être qualifié Stay Alive de punk-folk, mais ce ne serait pas faire justice à la pureté, à la simplicité de ces véritables cris musicaux. Nous, on préférera parler ici de musique PRIMITIVE. Pour justifier cette publication inattendue, Laura a expliqué : « Je veux juste sortir ce disque, parce que ça me fait me sentir vivante, et ça me donne quelque chose de mieux à faire que de rester assise à perdre la tête pendant que le monde s’effondre ! » Alors remercions-la un million de fois parce que Stay Alive nous fera nous sentir nous aussi vivants, plus vivants que la majeure partie des disques que nous écoutons.
« I am a haunted swimming pool / I am emptied out and drained / My capacity remains unchanged / I don’t know the source of my faith / But I know I will be full again / Come on in and take a swim! » (Je suis une piscine hantée / Je suis vidée et drainée / Ma capacité reste inchangée / Je ne connais pas la source de ma foi / Mais je sais que je serai de nouveau remplie / Entrez et nagez !). Les premiers mots de l’album (Swimming Pool Song) sont clairs : si les choses vont mal, si le monde est insupportable, si la vie est une souffrance tant elle est vide, si l’on peut être en colère, pas question de se laisser aller au désespoir…
Mais les tourments qui nourrissent l’album ne sont pas seulement intimes, et Laura Jane Grace n’a rien perdu de sa combattivité et règle ses comptes avec ses ennemis, comme sur le furieux Hanging Tree : « God is good and God is great / Now get the fuck out of the USA / Christ liked the American way /A burning crucifix and a hanging tree » (Dieu est bon et Dieu est grand / Maintenant foutez-moi le camp des USA / Le Christ a aimé le style de vie américain / Un crucifix en feu et un arbre pour les pendaisons)
Pour ceux que le dépouillement acoustique de l’album frustre, soulignons enfin l’existence de deux morceaux électriques qui donnent une idée de ce qu’aurait pu être l’album originellement prévu : SuperNaturalPossession, chanson pop presque entraînante avec son refrain « excitant » (?) et colérique qui évoquerait presque un jeune Tom Petty, et le 100% punky So Long, Farewell, Auf Widersehn, Fuck Off qui semble être un doigt d’honneur brandi à une relation terminée (« Goodbye and good riddance ! »).
Chacune des 14 superbes chansons de Stay Alive mériteraient d’être commentée, mais mieux vaut sans doute laisser à chacun la liberté de découvrir les textes puissants qui se dissimulent à peine ici derrière une orchestration minimaliste, parfois frénétique. Terminons simplement en relayant ici le message à chacun d’entre nous sur la conclusion de l’album, Old Friend (Stay Live) : « Say goodbye while you still can / Fight against the hopelessness / Keep rising up ’til the pain is gone / Don’t make any promises / Old friend, I’m losing my mind / Watching the days burn into years / Watching the years burn dry / Please stay alive ! » (Dis au revoir tant que tu le peux encore / Lutte contre le désespoir / Continue à te lever jusqu’à ce que la douleur disparaisse / Ne fais aucune promesse / Vieil ami, je perds la tête / A force de regarder les jours brûler en années / De regardant les années réduites en cendres / S’il te plaît, reste en vie ! ».
Oui, restons en vie !
Eric Debarnot