Indissociable des fêtes de fin d’année comme le sont la dinde, la bûche glacée, les chocolats pralinés et une méga indigestion, voici le bilan cinéma de l’année écoulée. En 2020, on a salué le travail de Emmanuel Mouret, Sam Mendes, David Fincher, Gu Xiaogang, Casey Affleck, Thomas Vinterberg…
Un virus, une pandémie, une crise sanitaire, un confinement, un déconfinement, une deuxième vague, un reconfinement : le cinéma (mais pas que lui) a souffert cette année avec quasiment six mois de fermeture des salles. Et beaucoup aujourd’hui d’annoncer sa disparition prochaine au profit des plateformes de streaming, réalité qu’il est pourtant bien difficile de prédire à 100%. Parce qu’entre deux confinements, le cinéma a prouvé qu’il n’avait rien de moribond et les spectateurs, toujours au rendez-vous, qu’une salle de projection restait un lieu privilégié (sacré ?) pour vivre des émotions sur grand écran, en XXL et en surround.
Si l’avenir, pour pas mal d’exploitants, reste compliqué et plus qu’incertain (euphémisme), le spectateur lui n’aura de toute façon pas d’autre choix que de s’adapter, comme il a su le faire pendant les deux confinements, à ce qui adviendra, et quoi qu’il adviendra. Une chose en tout cas qui ne disparaîtra jamais, et ça on peut en être sûr : les tops films qui surgissent comme par magie alors que la fin d’année approche, sur les blogs et les sites spécialisés, dans les rédactions et dans les chaumières. Et BENZINE, évidemment, ne pouvait échapper à l’inamovible tradition.
1. Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait – Emmanuel Mouret
Le désir amoureux, la valse des sentiments, les peines de cœur… Depuis toujours, Emmanuel Mouret ne cesse de décliner ces thèmes qui lui sont chers à travers des films remplis de femmes et d’hommes fragiles, pris dans la tourmente de l’amour. Ici, il est question de triangles amoureux et de couples qui se font et se défont, tout ça raconté avec une grâce, une délicatesse et un raffinement absolus. Mouret, passé maître dans l’art de réaliser des marivaudages bourgeois, met cette fois de côté humour et situations cocasses, qui rendaient ses films parfois si désopilants, pour aller vers une forme de gravité jusqu’alors peu présente dans son cinéma.
2. 1917 – Sam Mendes
1917 propose une magistrale et viscérale immersion au cœur de la Première Guerre mondiale grâce à sa mise en scène virtuose qui narre un récit simple, mais puissant, par le biais d’un suspense efficace. Un voyage sensationnel au chœur du chaos où une mission vitale est transcendée par le parti pris inventif de la réalisation, en un seul faux plan séquence, qui ne cesse d’évoluer au plus près de la peur, du sang et des maux. Une expérience sensorielle amplifiée par la prenante partition musicale de Thomas Newman et l’extraordinaire photographie de Roger Deakins. Captivant. Charnel. Humaniste. Impressionnant. L’enfer des hommes de boue.
3. Mank – David Fincher
On regardera Mank sous l’angle du cinéma d’auteur et d’un cinéma qui a beaucoup de choses à dire. Sur lui-même (encore un film sur le cinéma, qui le fait, comment on le fait, un sujet que tout réalisateur qui se respecte se doit désormais d’avoir traité) et sur son auteur (scénario écrit par Jack Fincher, le papa de David Fincher), mais aussi sur le monde actuel : on y voit la collusion d’Hollywood avec le magnat de la presse William Randolph Hearst, et la fabrication des premières fake news, si chères à Donald Trump, pour stopper l’ascension d’un candidat démocrate.
4. Uncut gems – Benny et Josh Safdie
Dans le sillage 70’s de John Cassavetes et de Martin Scorsese, les frères Safdie font de leur antihéros Howard une sorte d’héritier flamboyant de Cosmo Vitelli (Meurtre d’un bookmaker chinois), de Charlie Cappa et de Johnny Boy (Mean streets), soit des hommes rattrapés par le destin et qui cherchent le pardon, un salut, mais sans jamais en trouver. Adam Sandler fait des merveilles dans ce rôle de loser magnifique, ce genre de rôle qui vous transfigure une carrière (après celui de Barry Egan dans Punch drunk love). Les frères Safdie, qui ne voulaient que lui, l’ont mis devant leur caméra et l’ont sublimé comme rarement.
5. Séjour dans les monts Fuchun – Gu Xiaogang
Pour son premier film, le jeune réalisateur Gu Xiaogang met en scène une grand-mère et ses quatre fils (et leur famille respective) aux personnalités et au parcours divers. On suit tout ce petit monde sur quatre saisons, au fil des jours et de la rivière Fuchun. Il ne se passe rien de spectaculaire, mais tout cela est filmé avec tant de douceur et d’élégance, de finesse et de sensibilité, que le film en devient un ravissement. Cette banalité du quotidien est sublimée par la mise en scène de Xiaogang qui use de beaux, de longs et lents travellings, offrant au film toute sa saveur et sa langueur.
6. Light of my life – Casey Affleck
Casey Affleck revient en tant que réalisateur avec une fiction qui semble avoir été inspirée par certains des metteurs en scène avec qui il a tourné, principalement Gus Van Sant, Andrew Dominik et David Lowery dont on retrouve ici le minimalisme formel et la poésie mélancolique. Light of my life parvient pourtant à imposer son identité (et sa beauté) dans cette histoire d’un père et sa fille survivant dans un monde foudroyé par une pandémie qui a éradiqué la quasi totalité de la population féminine.
7. Je veux juste en finir – Charlie Kaufman
Je veux juste en finir est un film qui, comme tout le cinéma qui compte, s’interroge sur le sens de la vie. On pense tour à tour à Ingmar Bergman (la précision, l’acuité douloureuse de la description des rapports amoureux et familiaux), à Federico Fellini (le fantasme comme refuge, l’’enchantement de la vie par l’Art), voire à Andreï Tarkovski (le sens de la vie bien sûr, quand on erre comme une âme en peine dans un « entre-mondes »). C’est dire la hauteur à laquelle Charlie Kaufman s’élève. On peut célébrer la beauté de l’image, la qualité de l’interprétation, l’inventivité constante de la mise en scène, la justesse des dialogues, passionnants… Mais tout cela n’a que peu d’importance par rapport à l’extraordinaire impression que donne le film de toucher à la vérité de ce qu’est une vie.
8. Drunk – Thomas Vinterberg
Avec Tobias Lindholm, son coscénariste des grands jours (Submarino, La chasse), Thomas Vinterberg a concocté une sorte de farce existentielle qui parle moins du tétage compulsif du goulot que d’un mal-être carabiné (et d’une bonne biture pour s’en défaire). Drunk ne cherche pas à célébrer un alcoolisme de bon aloi (ni vraiment à le condamner), il célèbre la vie comme elle est, pas facile tous les jours, merdique d’autres jours, joyeuse quand on peut, simple quand on veut. Film de copains qui déchantent et qui s’enivrent, un peu comme si Yves Robert avait croisé Bukowski sur le zinc, Drunk doit aussi beaucoup à son quatuor d’acteurs, parfaits en soûlards sympathiques et pathétiques.
9. La communion – Jan Komasa
Le réalisateur polonais Jan Komasa a imaginé le parcours d’un jeune garçon qui, après avoir quitté un centre de rééducation pour délinquants, décide de se faire passer pour un prête dans une petite communauté marquée par la mort de quelques-uns de ses enfants lors d’un tragique accident de la route. Malgré des méthodes peu orthodoxes, notre faux prêtre va remettre du baume au cœur aux autochtones. Film choc de 2020, La communion est l’occasion de découvrir l’acteur polonais Bartosz Bielenia au jeu et au physique impressionnants, mais aussi un metteur en scène particulièrement prometteur. Un film d’une grâce absolue où la question du Bien et du Mal est posée en permanence.
10. Dark waters – Todd Haynes
Dark waters livre un brillant film d’investigation sous forme de thriller suffocant. Todd Haynes s’appuie sur une minutieuse mise en scène pour narrer le combat juridique de l’avocat Robert Billot contre la puissante entreprise Dupont, responsable d’empoisonnements d’êtres vivants (humains et animaux) dans l’État de Virginie. Une passionnante œuvre militante portée par l’impeccable Mark Ruffalo dont la justesse de jeu intensifie notre admiration pour cette lutte contre l’irréversible, et nous fait enrager contre les pratiques mafieuses de certains lobbies. Efficace. Effrayant. Captivant. Nécessaire.
Les choix de nos rédacteurs :
Michaël Pigé
1. Light of my life de Ben Affleck
2. The nightingale de Jennifer Kent
3. Lara Jenkins de Jan-Ole Gerster
4. La communion de Jan Komasa
5. 1917 de Sam Mendes
6. Uncut gems de Benny et Josh Safdie
7. Lux æterna de Gaspar Noé
8. Luciérnagas de Bani Khoshnoudi
9. Le gang Kelly de Justin Kurzel
10. Monos d’Alejandro Fadel
Éric Debarnot
1. Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret
2. Je veux juste en finir de Charlie Kaufman
3. Chained de Yron Shani
4. Drunk de Thomas Vinterberg
5. Soul de Pete Docter et Kemp Powers
6. Mank de David Fincher
7. The vast of night d’Andrew Patterson
8. Kajillionaire de Miranda July
9. Dark waters de Todd Haynes
10. L’infirmière de Kôji Fukada
Sébastien Boully
1. 1917 de Sam Mendes
2. Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang
3. Michel-Ange d’Andrei Kontchalovski
4. Dark waters de Todd Haynes
5. Drunk de Thomas Vinterberg
6. Ema de Pablo Larrain
7. Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret
8. Petite fille de Sébastien Lifshitz
9. Dawson City : le temps suspendu de Bill Morrison
10. Uncut gems de Benny et Josh Safdie
Benoît Richard
1. Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait de Emmanuel Mouret
2. Adolescentes de Sébastien Lifshitz
3. Séjour dans les monts Fuchun de Gu Xiaogang
4. Énorme de Sophie Letourneur
5. The gentlemen de Guy Ritchie
6. Adam de Maryam Touzani
7. Le cas Richard Jewell de Clint Eastwood
8. La communion de Jan Komasa
9. Mank de David Fincher
10. Tout simplement noir de Jean-Pascal Zadi et John Wax
Sergent Pepper
1. Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret
2. Mank de David Fincher
3. 1917 de Sam Mendes
4. La fille au bracelet de Stéphane Demoustier
5. The climb de Michael Angelo Covino
6. Nina Wu de Midi Z
7. Je veux juste en finir de Charlie Kaufman
8. Light of my life de Ben Affleck
9. Madre de Rodrigo Sorogoyen
10. Uncut gems de Benny et Josh Safdie