Kid Cudi achève la trilogie Man on the Moon dont plus personne n’attendait le dénouement. Mais 10 ans après, le monde du rap l’a t-il attendu ?
A l’aube d’une nouvelle décennie qui va complètement révolutionner l’industrie musicale, l’année 2009 voit poindre les derniers sursauts d’un rock qui est obligé de se réinventer totalement pour subsister encore, alors que les canaux mainstreams voient l’arrivée du streaming en ligne chambouler toute les frontières sans même encore vraiment comprendre de ce qu’il en retourne. Les goth éthérée de The XX, les frenchies distingués de Phoenix qui amènent Wolfgang Amadeus Phoenix sur un plateau en argent ou encore Animal Collective dans des versants plus pop avec le révolutionnaire Merriweather Post Pavilion. Pas une année déplaisante en somme et alors que des suites à In Rainbows ou Blueprint paraissent, un artiste entame sans le savoir une trilogie qu’il achèvera 11 ans plus tard.
Man on the Moon: The End of Day est alors un ovni, Scott Ramon Seguro Mescudi y dépeint un univers sombre et fragile, loin des carcans du genre déjà bien en place à l’époque. En lieu et place d’un ego trip convenu, son personnage Solo Dolo arpente les rues tel une âme en peine et plutôt que de se vanter de récolter des tops modèles à gogo, il se demande s’il n’aurait pas dû jouer le bad guy pour une fois.
Une plume à fleur de peau qui plaît instantanément… et pour preuve, les featurings sont déjà prestigieux : Kanye West et Common d’un côté, MGMT et Ratatat de l’autre. Il faut dire que depuis l’explosion du remix de Day’N’Nite, KiD KuDi – puisqu’il faut bien commencer par l’appeler par son pseudonyme – est sur un petit nuage. Le titre original lui, ressortira en version Nightmare sur ce premier album, une ambiance radicalement différente et un clip anxiogène à souhait. Mais quelle drôle de bête à donc piqué un rappeur qui a obtenu une réussite désirée de tous en très peu de temps et à un jeune âge ? Les années 2010 n’y répondront jamais et au fur et à mesure des sorties suivantes, le mystère s’épaissira.
Man on the Moon II: The Legend of Mr. Rager sort un an à peine après le premier opus et commence déjà à défricher des terrains encore inexplorés. Avec des hymnes comme REVOFEV ou des morceaux rock comme Erase Me ou Maniac on y comprend plus rien. Kid Cudi est un pur produit des débuts 2010, avec sa créativité aussi naïve que curieuse. Et si par souci de cohésion il conserve encore une construction en chapitrage de l’album c’est pour mieux ensuite faire concrètement ce qu’il veut.
La suite est jonchés de succès et d’accidents de parcours, des collabs réussies comme Welcome to the Heartbreak avec son ami de toujours Kanye West et des albums expérimentaux incompris et incompréhensibles comme Speedin’ Bullet 2 Heaven. Et toujours une constante, le spleen. Malgré un sourire ravageur de façade, l’artiste qui entre alors dans la trentaine traverse ses pires phases de dépression. Il ira jusqu’à rendre son état mental public dans une lettre ouverte très touchante où il annonce partir se soigner pour, il l’espère, revenir plus fort.
Vous l’aurez compris, le background global est donc assez unique, sans parler de toute sa jeunesse et du parcours qui l’aura amené à faire de la musique. En annonçant une troisième volet à Man Of The Moon, Kid Cudi prend alors tout le monde de cours. C’est assez amusant car, malgré une hype instantanée, la trilogie n’a de cohérence que le titrage. Comme déjà évoqué, les opus 1 et 2 n’ont que peu ou prou de choses en commun et la plupart des albums qui suivent se veulent déjà comme des prolongements plus ou moins officiels de l’histoire de Mr Rager.
Revoici donc revenu la division théâtrale en 4 actes, chose surprenante à une ère où la consommation de CD a perdu de sa superbe et où les plateformes en ligne ne favorisent que peu l’écoute en continu d’une œuvre dans sa globalité. Le monde du rap a depuis changé la donne de l’industrie musicale. Un style que Kid Cudi a aidé à populariser ou tout du moins à démocratiser en mélangeant les sonorités et en s’affranchissant des clichés éculés. Il a été la porte d’entrée vers une musique ayant depuis assouvi sa domination et imposant de nouveaux formats de consommation. Des formats courts et donc rapides à consommer, noyés dans la pléthore d’artiste proposés et donc sans véritable concept à développer sur la longueur.
The Chosen de ce côté-là est donc toujours un ovni. Musicalement, Solo Dolo a rattrapé le temps perdu. Finie les errances rocks, les interludes expérimentales et les chants de stade. Kid Cudi se recentre sur plus de rap, tentant même de la trap qui a le vent en poupe comme sur She Knows This. Cependant Kid Cudi a une patte, il faut le reconnaître. Souvent cantonné à des flows lents et chantés où il parsème ses hummings, une technique qui a aidé à le populariser au point d’en devenir un même (et effectivement, c’est très agréable à l’oreille on ne s’en lasse jamais), le plus tout jeune rappeur de Cleveland peut alors vite pêcher quand il s’aventure en mer inconnue.
Surtout qu’une tripotée de jeune rappeurs maîtrisent ces nouveaux exercices bien mieux que lui. Les faiblesses de Scott révèlent alors vite celles de certaines compos pas toujours très inspirées. Ainsi, après le pas mauvais Tequila Shots digne successeur de Marijuana, on assiste à une première moitié de disque assez faiblarde avec surtout la sensation que le trentenaire tente de rester dans le coup et de se tailler la part du lion. Solo Dolo, Pt.III arrive alors comme une vraie bouffée d’air, pas forcément frais mais agréable. Alors en zone de confort, Le Kid revient donc comme à chaque épisode de la trilogie sur sa solitude, sujet Ô combien triste mais qu’il maitrise à la perfection.
S’ouvre alors un troisième acte bien plus heureux pour l’auditeur avec comme point culminant Elsie’s Baby Boy (flashback). Oui c’est facile, oui il n’est pas le premier a semple The House of The Rising Sun (on a en tête Alt-J qui en faisait une cover méconnaissable) mais en récupérant simplement les notes du thème de guitare emblématique, Mescudi fait opérer la magie à nouveau. Avec un bête air répété ad nauseam, il étend sur trois petites minutes toute son enfance. Des lyrics touchants qui rappellent une fois de plus un passé sombre, dans l’ombre d’un père disparu et d’une mère violente. Tout ceci en se payant le luxe de sampler le film Stand By Me.
Voilà le Mr Rager qu’on aime, qui expérimente sans oublier la musicalité et la poésie, mélange les genres et ne se plie à aucune mode puisqu’il la crée.
Autre titre emblématique, The Void, qui semble sorti tout droit des années 2000 et agit comme un doux bonbon malgré des paroles évoquant encore une fois sa dépression.
Agréable nostalgie avant un quatrième acte qui revient sur un versant plus moderne accueillant notamment l’un des rares featurings de l’album (Kanye West étant le grand absent) en la personne du jeune Trippie Redd.
Cette dernière partie qui amène donc le nombre de chansons au compteur à 18 vient prouver qu’en dépit d’une grande créativité et de thèmes très personnels, Kid Cudi peut souffrir de la surproduction. A vouloir trop en faire, il y a forcément à jeter et alors le phénomène d’une fin de trilogie s’estompe. En de trop rares coups d’éclats, Man On The Moon III s’empêche d’être aussi marquant que certains précédents opus qui, à défaut d’être parfaits techniquement, expérimentaient et traçaient des voies nouvelles. The Chosen se veut comme une update du rap sans génie. Heureusement loin de l’accident artistique, Kid Cudi grâce à sa voix de miel et le personnage qu’il s’est forgé attendrira toujours suffisamment pour la suite.
Et de la suite il sera forcément question puisque Lord I Know s’achève sur un To Be Continued. Officiellement pas de 4ème Man Of The Moon mais un album concept couplé à une série animée Netflix. Officieusement on le sait bien, Mr Solo Dolo est dans chaque chanson et le sera toujours.
Kévin Mermin