George Clooney ne démérite pas avec Minuit dans l’univers mais se révèle, face à ces étendues polaires que sont la banquise, le cosmos et la post-apocalypse, un peu trop frileux pour appréhender pleinement la glaciale émotion qui peut en surgir.
La science-fiction est probablement l’un des genres qui met le plus en relief le dilemme du cinéma oscillant entre produit industriel de divertissement et expression artistique : les moyens qu’il mobilise impliquent un retour sur investissement, et les spectateurs qui s’embarquent dans l’espace attendent le plus souvent un cahier des charges bien défini.
Le nouveau film de George Clooney en est parfaitement conscient lorsqu’il parsème son exposition d’indices laissant envisager une dimension auteuriste : une certaine épure dans l’image, une relation des faits gangrénée de silences, et une robinsonnade pour le moins austère. Le récit alterné entre la terre et le vaisseau de retour ménage ainsi deux capsules à l’écart d’un réel inaccessible, dans une atmosphère à la fois feutrée et suffocante, qui progresse vers une impasse apocalyptique assez bien rendue.
Mais très vite pointent les petites balises attendues : la tendresse imposée au vieux bourru, soulignée par la musique assez pénible d’un Alexandre Desplat qu’on a connu plus subtil, le parcours semé d’embuches et les relations d’un équipage fonctionnant sur la cohésion, la classe à l’américaine random de tout astronaute, et le furieux désir de retrouver un home sweet home qui n’existe plus. Assez bien jouée, la partition reste dans l’équilibre général qui ne cherche pas à trop charger la barque, à l’image de ce mutisme bienvenu de la fillette, qui, s’il se justifie évidemment pour d’autres raisons, permet d’éviter bien des dérives.
Toute cette histoire de filiation, de deuil et de rédemption, même si elle devient assez rapidement lisible et anticipe largement ce qui se voudrait être une révélation finale, a donc quelque chose d’assez touchant, et déplace avec habileté la thématique de fin du monde sur un territoire plus intime. On retrouve ainsi le tiraillement proposé l’année dernière par Ad Astra, avec les mêmes écueils, mais dans une proportion bien plus grande : le sacrifice à des séquences d’action et des procédés d’écriture. Les péripéties sont ainsi posées comme des parpaings (le nécessaire matériel médical, les loups, l’atroce séquence où le bâtiment sombre dans la glace, la dérive de l’appareil, l’indispensable sortie, la pluie de météorites…) et interviennent mécaniquement entre chaque séquence dialoguée. Comme pour tant de films, on serait bien tentés d’abandonner toute attente quant à son développement une fois ces facilités exploitées, mais George Clooney sait ménager quelques surprises dans un récit à la rythmique assez élastique, prolongeant le plaisir de quelques plans des architectures spatiales par une longue sortie dans l’espace qui convoque modestement la fascination visuelle de Gravity (mais se prolonge malheureusement par une chanson collective assez navrante) avant de dériver vers une tragédie assez ingénieuse dans son exploitation de l’hémorragie.
Le réalisateur ne démérite donc pas, mais se révèle, face à ces étendues polaires que sont la banquise, le cosmos et la post-apocalypse, un peu trop frileux pour appréhender pleinement la glaciale émotion qui peut en surgir.
Sergent Pepper