Il est bien difficile de jouer aux blasés devant l’efficacité émotionnelle du premier album de beabadoobee, qui nous ramène au rock indie des 90’s, avec en prime l’innocence et l’émotion d’une jeune femme bien de son temps, et bien talentueuse.
Beatrice Laus, ou Bea Kristi, ou encore beabadoobee n’a guère que 20 ans, mais a cumulé en 2020 les succès médiatiques. Originaire des Philippines, cette jeune artiste anglaise a débuté une carrière de musicienne quasi par hasard – ou plutôt par la magie de vidéos postées sur Tik Tok et YouTube. Pas de quoi pourtant lui en vouloir quand on écoute son Fake It Flowers, à l’efficacité mélodique et émotionnelle indiscutable.
Fake It Flowers, produit par Pete Robertson des Vaccines, est son premier album, mais depuis ses débuts trois ans plus tôt, beabadoobee a déjà publié pas mal de chansons et cinq EPs, ce qui nous empêchera de la qualifier de véritable débutante… même s’il est indéniable que subsiste ici une vraie fraîcheur contribuant largement au charme de l’album (comme dans le lo-fi How Was Your Day?, qui tranche avec la finition plutôt luxueuse du reste de l’album). Fake It Flowers mêle des chansons datant des 17 ans de Bea, et des morceaux composés au moment de l’enregistrement, surtout dans la mesure où celui-ci n’était pas prévu aussi tôt, mais a été anticipé du fait de l’annulation des tournées prévues.
Bea Kristi affirme un peu partout qu’il s’agit là plus ou moins de la totalité de l’histoire de sa vie, encapsulée en 12 chansons, et on aurait donc tort de lui reprocher des préoccupations qui sont celles d’une jeune femme de son âge, avec une vision de la vie qui semble tout droit sortie de comédies romantiques hollywoodiennes. Fake It Flowers fait cependant une utilisation massive du style, voire même de l’esthétique, du rock indie des années 90, offrant un mélange hautement instable entre guitares noisy et mélodies pop sucrées, débitées ici avec la voix enfantine de rigueur. A la fois très prévisible – rien qu’on n’ait pas entendu avant – et irrésistible comme la bande son d’un feel good movie branché, l’album alterne les morceaux rêveurs bien au goût de 2020, et les accélérations rock / grunge (si l’on veut, car tout ça reste évidemment très soigné, très propre).
S’il y a une (petite) déception ici, c’est surtout au niveau des paroles qu’elle se situe, qui enfilent les banalités, échouent quand elles tentent d’être un peu plus poétiques, et ne font que souligner l’immaturité (logique) de la compositrice. Finalement, on préfère quand Bea appelle un chat, sans craindre la vulgarité comme sur le combattif Dye It Red, qui dit leurs quatre vérités aux mâles abusifs : « Kiss my ass, you don’t know jack / And if you say you understand, you don’t / Fuck me only when I’m keen / Not according to your beer ( « Va te faire voir, tu ne connais rien de rien / Et si tu dis que tu comprends, eh bien non / Baise-moi seulement quand j’en ai envie / Pas parce ta bière te dit de le faire »)
Maintenant que la jeune femme s’est fait remarquer, et favorablement, grâce à une indéniable sûreté dans la composition de morceaux plaisants, voire accrocheurs (le single Care), il va falloir que son second album confirme qu’elle est capable d’injecter un peu de substance derrière cette forme soignée. D’ailleurs Yoshimi, Forest, Magadene clôt l’album dans un déluge sonique et sur un pic d’excitation émotionnelle du plus bel effet, comme une promesse que le meilleur reste à venir.
Eric Debarnot