Alors que depuis 12 semaines les salles obscures restent toujours scandaleusement confinées, trouvons de bons remèdes VOD à notre manque de cinéma, à travers une nouvelle piqûre de rappel avec le romanesque I am not Madame Bovary, une injection étonnante pour captiver vos sens, sans tourner en rond.
Étonnant portrait en forme de combat d’une femme prisonnière de l’administration chinoise. Quasiment inconnu en France le cinéaste chinois Feng Xiaogang s’est essayé à de multiples genres : film d’action avec A world without thieves (2004), historique à travers Le banquet (2006) ou film catastrophe par le biais Aftershock en 2010. Il s’immisce sur nos écrans avec une comédie noire sur la Chine d’aujourd’hui, adaptation de l’intéressant roman Je ne suis pas une garce de Liu Zhenyun, édité en 2015 dans la collection Bleu de Chine de chez Gallimard.
Dans les contes chinois, une femme infidèle ou débauchée se définit généralement par le personnage mythologique « Pan Jilian », il a été remplacé pour la distribution internationale par le personnage de « l’épouse indigne », Madame Bovary.
Le réalisateur nous dépeint le destin d’une villageoise ordinaire qui va mettre en place un stratagème de divorce avec son époux pour obtenir un deuxième appartement et se remarier ensuite. Malheureusement pour la femme mariée, son mari en a profité pour épouser une autre femme ! Nous allons suivre la lutte de Li Xuelian contre son mari, les institutions chinoises pour réhabiliter sa réputation. Pour nous conter cette fable Feng Xiaogang opte pour une mise en scène radicale. Quasiment tout au long du film le cadre de l’image est circulaire, un rond au centre de l’écran créant pour le spectateur un sentiment de distance et d’aliénation. Et observer avec plus d’objectivité cette femme se heurter à des murs, en tournant en rond.
Ce format visuel rappelle aussi les peintures sur les parchemins de la dynastie Song et la culture chinoise. Ce cercle renforce également le sentiment aux spectateurs d’espionner et de recentrer notre regard sur l’essentiel. Au cours du l’intrigue le format de l’image évolue en 1:1.66 et plus tard en 16:9, à des moments très précis. Un mélange de formats ambitieux qui encadre parfaitement l’histoire au récit à la tonalité étonnement satirique.
Ce long métrage un peu trop long, n’en demeure pas moins une délicieuse auscultation de la Chine contemporaine, à travers des situations ubuesques ou des lois obsolètes et absurdes viennent décrire l’humiliation morale subie par Li Xuelian, symbolisant ainsi le sort de nombreuses femmes en Chine qui veulent faire valoir leurs droits.
Cette magnifique œuvre visuelle est littéralement porté par l’incarnation impliquée de l’actrice Fan Bing Bing ni obéissante, ni docile et tout simplement formidable dans ce rôle. Venez découvrir cette satire réussie, oscillant entre le drame intime et la farce caustique au cœur du savoureux I am not Madame Bovary. Esthétique. Féministe. Audacieux.
Sébastien Boully