Terrain lourd, le premier roman de Pierre Marcelle. Le roman gris et humide d’un looser minable et pathétique, bien plus que le roman noir et grinçant d’un héros désabusé et déprimé. Un roman daté. De 1980. D’époque. Pierre Marcelle n’est pas encore le chroniqueur qu’il deviendra.
Chronique d’un looser…
Vertaire est journaliste. Pas un grand reporter qui risque sa vie à courir le monde, les guerres et les révolutions. Vertaire, lui, est journaliste sportif et il ne couvre pas les matchs de l’équipe de France. Il est chargé de suivre un Stade Malherbe de Caen-Football Club de Thionville, saison 1980-1981, perdu par Caen sur un but tardif et apparemment hors jeu de Legoff – un breton ?! Le SM de Caen, qui descendra en 3ème division à la fin de la saison… Et cette histoire d’amour qui le rend fou. Vertaire l’aime “elle” – on ne saura pas son nom ou son prénom – mais elle ne l’aime pas. Elle le traite comme un bouche-trou, oui-non, non-oui, qui le convoque au milieu de la nuit pour le renvoyer une demi-heure plus tard – elle doit se lever tôt ! Ou retrouver son amant. Oui, elle préfère être la maîtresse d’un homme marié … La loose.
pas magnifique…
Tout le monde ne peut pas être un Joseph Kessel ou un Albert Londres, ni même un Thierry Rolland ou un Antoine Blondin. Vertaire pourrait en prendre son parti. Il ne veut pas. Désabusé, il se trouve pathétique. Une loose de seconde division… même avec celle qu’il aime : Vertaire accepte l’humiliation, s’inventant toutes les histoires possibles pour se justifier. Décidément pas magnifique quand il décide, finalement, de prendre les choses en main. Il ne fonce pas affronter son rival à bord d’un cabriolet décapotable, carrosserie rutilante, sièges en cuir et 8 cylindres en V. Il ne rentre pas par la grande porte pour lui tirer une balle en plein front après lui avoir craché au visage ses quatre vérités. Il ne le roue pas de coups devant sa famille ou ses employés. Non. Il prend son temps et des tortillards entre Caen et St-Malo, donne la chance au hasard de le détourner de son but, prend une chambre dans un hôtel minable, loue une R5, attend des heures que Machin sorte, le suit … avant d’échouer piteusement.
ni très sympathique…
Un looser pas magnifique, Vertaire est aussi un looser pas très sympathique. Mélancolique, las, nous dit Jérôme Leroy dans l’introduction. Un champion de l’auto-dérision. Peut-être. De l’auto-lamentation, surtout. Vertaire ironise en permanence sur les situations dans lesquelles il se met. Qu’il ne veuille pas quitter cette femme qui le méprise et en aime un autre, soit. L’amour a une certaine classe. Mais personne ne l’oblige à se trimballer avec un sac de reporter en skaï – même dans les années 1980, le skaï est ringard. Personne ne l’oblige à louer cette chambre, cette voiture – la R5, la banale voiture de monsieur tout le monde, ; depuis 1974, la voiture la plus vendue en France ! Il ne fait pas face. Et se plaint sur son sort. Il se vautre dans un malheur qu’il entretient avec une telle gourmandise, avec une mauvaise foi, un aveuglement tel qu’on dévore le livre d’une traite en attendant qu’il lui arrive quelque chose de mauvais. Et c’est peut-être là que la comparaison avec les personnages de David Goodis – que fait Jérôme Leroy dans son introduction – trouve sa limite. Vertaire n’est pas une victime, comme ils ou elles le sont. La violence des situations dans lesquelles il se trouve n’a rien à voir avec la leur. Et le pseudo-argot qu’il utilise – que Pierre Marcelle utilise – pour parler de lui sonne faux et ça n’aide pas à éprouver grand-chose de positif. Désolé, tu souffres, Vertaire, et on s’en réjouit.
Le roman d’une époque ?
Il est vrai que Terrain Lourd est daté. Précisément. De Janvier 1980. Il est important de le lire en gardant à l’esprit que ce n’est pas la réminiscence vague d’une époque écrite des années plus tard mais un roman d’époque. Ecrit au moment où la R5 cinq portes vient d’être lancée. Où le championnat de France de football de deuxième division ne porte pas le nom d’un pizzaiolo industriel et comporte encore 2 groupes. Terrain Lourd est le premier roman de celui qui deviendra un chroniqueur assez fameux – 3 tomes de chroniques publiées quand même ! Il en a les qualités et les défauts – comme l’omission systématique du “ne“ dans les négations et l’utilisation trop systématique d’images et de métaphores plus – et moins – poétiques et pertinentes. Cette façon d’écrire me semble aussi être celle d’une époque. De cette décennie qui verra paraître 37,2° le matin, le livre et le film. Qui verra sortir Diva (1981) et ou La lune dans le caniveau (1983). Et de bien d’autres, évidemment. Une époque lointaine, une époque qu’on a oubliée.
Alain Marciano