Le second album des Canadiens de Kiwi Jr. est une jolie occasion de sourire en écoutant des textes malins tout en se rappelant d’une époque où les Modern Lovers nous réjouissaient de leur classe infiniment décontractée. On ne passera donc pas à côté de ce petit plaisir !
Autant bien clarifier d’entrée les choses : Kiwi Jr. ne viennent pas des Antipodes, mais du Canada – de Toronto, plus exactement -, et leur musique ne respire pas le grand air néo-zélandais, mais bien plutôt l’atmosphère bien polluée des grandes villes du Nord de l’Amérique : on pouvait rêver à de la pop dépaysante lorgnant du côté de Dunedin, on a plutôt ici droit à un groupe qui se place naturellement dans la digne lignée de ce qui se fait de mieux dans l’indie rock urbain états-unien : des échos de Parquet Courts, des Strokes et de Pavement, si l’on veut, c’est-à-dire, que du bon, du très bon même. Mais de belles influences ne valent que si on intègre et on les dépasse, et après Football Money, un premier album bien accueilli fin 2019, début 2020, la question est celle, classique, accompagnant tout second album : y a-t-il une identité Kiwi Jr. ? avons-nous à faire à un groupe capable de nous emporter « ailleurs », ou bien sommes-nous, comme c’est si souvent le cas en ce moment, dans de la simple redite de choses inventées par des gens plus brillants au cours des décennies précédentes ?
L’une des caractéristiques incontournables de la musique de Jeremy Gaudet, c’est son talent pour écrire des textes malins, brillants même parfois, avec une nette tendance au sarcasme qui convient parfaitement à son phrasé mi-sympathique, mi-provocateur : on a donc droit à des observations ironiques sur tout ce qui prête à rire (ou à pleurer ?) dans notre monde actuel, le tout mêlé à une sorte de chronique « slacker » de sa propre vie. Et c’est assez passionnant, finalement, ça rappelle aux plus vieux d’entre nous le talent d’un Ray Davies pour moquer avec tendresse les traditions de la société anglaise à laquelle il était pourtant tellement attaché : « You take a photo of the CN Tower / You take another of the Honest Ed’s sign / While I take photos of your photos / And they really move people I know online » (Tu prends une photo de la Tour CN / Tu en prends une autre de l’enseigne de Honest Ed / Pendant que je prends des photos de tes photos / Et elles émeuvent vraiment les gens que je connais en ligne) dans Undecided Voters, ou encore « No trace evidence / You can dismiss the case / There’s no proof that Woodstock ever / Happened in the first place / Don’t blow your plain clothes cover » (Aucune trace de preuve / Vous pouvez classer l’affaire / Il n’y a aucune preuve que Woodstock ait jamais eu lieu / Que ça soit vraiment arrivé… / Alors ne grillez pas votre couverture de personne ordinaire » dans Omaha, c’est à la fois bien vu et très drôle, non ?
Mais cette élégance lyrique ne serait bien sûr rien sans un joli tour de main mélodique, parfaitement clair sur des chansons irrésistibles comme Domino ou comme l’ultra-pop Dodger. Et sans un vrai savoir-faire dans une combinaison cultivée d’un folk post-dylanesque (avec harmonica !) et d’un indie rock éternel sur guitares claires et carillonnantes comme Jonathan Richman en reste le modèle inégalé.
A la limite, on pourra regretter que Kiwi Jr. ne se laisse pas plus aller à monter plus souvent en pression, comme dans le punky Cooler Returns, mais globalement, on ne peut pas nier que la « musique de petits malins » vient de se trouver un nouveau groupe porte-étendard.
Eric Debarnot