En l’espace de deux ans, cette série s’est imposée comme un phénomène éditorial. La sortie du deuxième volet étant très attendue par les fans, on a cherché à comprendre les raisons d’un tel engouement.
Nicolas Pétrimaux est un touche-à-tout qui à près de 40 ans vient de tenter une incursion réussie dans la bande dessinée. Il faut flinguer Ramirez est sa première production en la matière, après des années à travailler en tant qu’illustrateur et story-boarder (si on veut résumer) dans le domaine des jeux vidéo, où il réalisait des cinématiques. Cet auteur résidant à Lyon, lit-on dans le dossier de presse, a même eu l’occasion de réaliser un court-métrage intitulé Allo Zombie en 2007. Et à la lecture d’IFFR, force est de reconnaître qu’on est à peine surpris, tant l’objet donne l’impression d’être en train de visionner un film. Il ne manquerait que le seau de pop-corn à portée de main !
Pour reprendre l’analogie, autant être prévenu, le gars Pétrimaux ne fait pas dans l’Art et essai, et il ne fait même pas semblant ! IFFR, c’est du pur fun en rafale, des cascades et des explosions toutes les deux pages. Le mode entertainment est complètement assumé, et tant pis pour les snobs qui risquent de se pincer le nez. En apparence (mais en apparence seulement), c’est du bourrin premier choix, mais cet enfant de la pub qu’est Pétrimaux est plus malin que ça. Il a bien compris que la BD à papa, c’était bel et bien révolu, et qu’aujourd’hui, un polar avec des gangsters devait s’adapter à l’air du temps.
L’auteur a su concocter une recette où le hasard n’a pas sa place : dans une grande marmite vintage 80’s (le recyclage, c’est tendance et la classe assurée), ajoutons un peu de Thelma et Louise (goudou vintage style), un peu de Tarantino (le vintage du vintage, déjà ?) un peu de GTA (le monde est un jeu vidéo), des morceaux de latinos badass (parce qu’avec eux, faut jamais faire le malin), des cols pelle à tarte (sans les chemises hawaïennes toutefois), une pincée de parodies de pubs d’époque, et pour lier le tout, des gimmicks forts (l’aspirateur dont Ramirez ne se sépare jamais, la Renault 5 Le Car …), bref, des ingrédients qui semblent avoir été sélectionnés à coup d’études marketing premium pour contribuer au succès de la série.
Sur un rythme échevelé, nous suivons donc les aventures de cet employé modèle qu’est Ramirez, qui ne s’exprime jamais — et pour cause, il est muet. Cette particularité ajoute à son mystère, lui qui semble désireux, comme on le découvrira au fil du récit, de se faire oublier du milieu de la mafia mexicaine, sans que l’on sache vraiment pourquoi. L’homme travaille pour un fabricant d’aspirateurs, et d’ailleurs, « personne ne répare un aspirateur comme lui ». Il est petit, moche, affublé d’une tache de naissance qui lui barre le visage, larbin de tous et pourtant respecté par son talent. Même son chef, Sanchez – vraisemblablement d’origine latino comme lui —, un salopard incompétent qui le méprise plus que ne pourrait le faire un WASP de base, est obligé de le ménager un minimum… Il porte un prénom français démodé (Jacques) et préfère laisser dire ceux qui parlent… Il vit ainsi son quotidien terne d’employé effacé, ce qui semble lui convenir tout à fait… jusqu’au jour où son passé va venir le rattraper, avec l’apparition concomitante et fortuite de deux starlettes en cavale, qui ne sont pas du genre à s’en laisser conter.
Graphiquement parlant, l’amateur de jeux vidéo ou de ciné à grand spectacle est servi. Le design hyperréaliste des décors a été conçu en 3D et rappelle furieusement l’univers de Grand Theft Auto. Cela reste un peu froid, mais c’est très bien réalisé et on imagine sans peine que Pétrimaux n’a pas compté ses heures pour arriver à un tel résultat. L’aspect des personnages nous rappelle qu’on est bien dans une bande dessinée (encore heureux), plus en phase avec les codes franco-belges. Pour ce thriller mené à un train d’enfer entre l’Arizona et le Mexique, la mise en page très dynamique est on ne peut plus adaptée, avec une utilisation très léchée de la couleur et des effets spéciaux numériques qui savent se faire oublier… La disposition un peu déroutante des phylactères qui serpentent à travers plusieurs cases reste un bémol même si on finit par s’y habituer au fil de l’histoire. Une des trouvailles reste l’insertion de publicités, d’articles de journaux locaux ou de magazines people, dans un style parodique, permettant de fournir des respirations bienvenues à la trame principale qui voit les scènes d’actions s’enchaîner presque sans répit. L’humour relève de l’esprit potache bon-enfant et d’un certain « esprit Canal », mais on peut déplorer les clins d’œil un peu trop appuyés.
Même si l’on n’est pas forcément client du genre, il est impossible de massacrer IFFR tant l’on est impressionné par la masse de travail qui a dû être déployée pour arriver à un tel résultat. Il serait pourtant facile de le faire, car si la forme reste assez originale, le fond demeure pour le moins superficiel. En outre, ce type de scénario a déjà été vu mille fois, mais il se trouve que ce petit Ramirez a un je-ne-sais-quoi d’attachant dans sa manière de traverser les champs de mine en conservant toujours le même air imperturbable, de s’accrocher à son aspirateur comme le Gollum à son précieux avec des yeux de chien battu. Avec tout ça, difficile de croire qu’il puisse être l’homme à abattre… Ainsi, force est d’admettre que le succès de cette série populaire est loin d’être usurpé. Un succès qui, de toute évidence, ne s’estompera pas aussi vite qu’il est venu, il suffit pour le comprendre de regarder sur les réseaux sociaux l’enthousiasme que suscite la BD parmi ses fans.
Laurent Proudhon