Les deux auteurs nous proposent une fascinante, bien que trop brève, adaptation du chef d’œuvre d’Herman Melville, Moby Dick, grâce notamment à l’extraordinaire travail du dessinateur Bill Sienkiewicz.
De La Princesse de Clèves à L’Étranger, D’Orgueil et préjugés à l’intégrale de Lovecraft, en passant par les quatre versions de 1984, la mode est aux adaptations de classiques de la littérature. Il serait vain de les comparer aux romans. Qu’elle soit filmée ou dessinée, toute adaptation est une création originale qui nécessite, pour sa compréhension, la connaissance du texte initial.
Moby Dick est une œuvre immense qui nous chante l’âpreté de la vie en mer, de la chasse à la baleine, et la lutte titanesque du bien contre le mal. Le jeune Ismaël embarque sur un trois-mâts, le baleinier Pequod, aux ordres du capitaine Achab. Cet excellent marin aspire à se venger du grand cachalot blanc qui, jadis, lui a broyé la jambe. Le cétacé est décrit comme une créature du diable, Achab s’attribuant le rôle d’archange. Pourtant, au fil des pages, l’image se brouille. Moby Dick pourrait être Dieu et le capitaine une créature démoniaque. L’orgueilleux et fascinant Achab se révèle ne vivre que par sa haine, entrainant un équipage halluciné dans une quête que l’on devine fatale.
Contraints par le trop court format de 44 pages, Dan Chichester et Bill Sienkiewicz concentrent leur récit sur l’élément fantastique, alors même que le propos était habilement distillé par Herman Melville tout au long du roman.
L’histoire étant connue, l’intérêt réside dans l’extraordinaire travail du dessinateur. Bill Sienkiewicz s’affranchit allègrement des règles classiques du Comics avec peu d’actions, aucun dialogue, de rares visages, des couleurs sombres, une fascination pour la mise à mort et des pages déstructurées. Il associe crayonnés, peinture à l’huile, aquarelle et encres, collages et stencils. L’effet est sidérant. Parfaitement adaptée au témoignage d’Ismaël, le narrateur, chaque planche est une œuvre picturale baroque. Finement suggérée dès les premières pages, la folie d’Achab gagne en intensité, contamine ses compagnons, avant de culminer dans un dernier assaut d’une rare violence.
Stéphane de Boysson