Quatrième saison déjà, produite cette fois par Netflix, pour l’une des séries TV les plus populaire, Dix pour Cent. Et la recette fonctionne encore très bien, jusqu’à une conclusion bien venue. Mais est-ce bien une conclusion ?
A l’origine de Dix pour Cent et de son succès qui ne s’est pas démenti depuis 2015, il y a l’excellente idée de la part « d’agents » comme le fameux Dominique Besnehard, (immortalisé par Pialat dans A nos Amours, et qui est au cœur de Dix pour Cent) de retranscrire en série TV certaines de leurs mésaventures professionnelles – forcément transformées par la fiction puisqu’on peut supposer que la réalité serait souvent embarrassante, voire compromettante pour nombre de stars – et d’agents… – du cinéma français…
Dans une jolie tradition que l’on peut faire remonter – si l’on est généreux – à certaines screwball comedies de Hawks, Dix pour Cent travaille l’imbroglio sentimentalo-comique entre vie professionnelle et vie amoureuse de quatre agents (et de leurs assistant(e)s) qui ont bien du mal à séparer leurs ambitions au sein d’une société qui prend l’eau, et leurs désirs, le tout sur un rythme souvent bien enlevé qui ravira les aficionados – comme nous – d’un certain classicisme hollywoodien.
Pour que ce genre de comédie fonctionne, il faut un vrai rythme de la mise en scène, mais surtout d’interprètes généreux avec leur énergie, et parfois même en état de grâce : on soulignera combien Camille Cottin, assez loin de son terrain de jeu habituel, a trouvé dans Dix pour Cent l’occasion de démontrer un talent certain, une belle profondeur, au point de justifier à elle seule le visionnage de nombre d’épisodes des 4 saisons. Nicolas Maurel crève lui aussi littéralement l’écran, et en particulier dans la dernière saison où il se positionne en Jean-Pierre Léaud des années 20, dans un rôle sur la corde raide entre caricature et émotion. Quant à Laure Calamy, elle a construit au fil des épisodes une personnalité comique qui s’avère désormais prometteuse pour son avenir au cinéma…
Bien entendu, le coup de génie de Dix pour Cent, qui lui a valu sa popularité, a été d’inviter dans chaque épisode un ou deux acteurs notables, voire célèbres, pour jouer leur propre personnage, ou du moins une version à la fois décalée et crédible de celui-ci : on imagine que c’est notre côté « midinette », fan de « Voici » ou de « Closer » qui entre en jeu, mais c’est indiscutablement assez délicieux d’être ainsi témoin d’auto-parodies, voire de mises en abyme, offertes par des « stars » disposées à se mettre un peu en danger.
https://youtu.be/fOP6Nwb1r1c
Produite par Netflix, la quatrième saison de Dix pour Cent souffre un peu du syndrome de la redite de trop, chacun des fils narratifs ayant déjà largement dépassé sa date de péremption, et ne pouvant guère déboucher sur grand-chose de nouveau : on déplorera même que Mathias, qui semblait pourtant superbement irrécupérable, décide finalement de se racheter une conduite à la suite d’une crise cardiaque, ce qui caresse un peu trop le spectateur dans le sens du poil et trahit une naïveté consensuelle désolante !
Cette saison, tout au moins jusqu’à son dernier épisode sur lequel on reviendra, tient donc avant tout sur le charisme de certaines des « guest stars » : Sigourney Weaver emporte tous les suffrages dans le cinquième épisode où elle se « vend » non sans auto-dérision comme une septuagénaire croqueuse de minets ; Sandrine Kimberlain ne craint pas le ridicule en se représentant comme mauvaise comique de stand up ou faisant de la capoeira dans les rues de Paris ; José Garcia se montre sous un jour inhabituel en amoureux passionné et pusillanime… Bref, une fois de plus, beaucoup de très bonnes scènes, drôles ou émouvantes pour maintenir notre intérêt, jusqu’à ce fameux épisode final qui semble diviser les téléspectateurs – peut-être à cause d’une prestation qu’on oubliera vite de Jean Reno…
Pourtant, il y a quelque chose de courageux dans la manière dont Dix pour Cent fait le choix final de l’échec, du désastre même : à la fin de cette saison, ce sont, comme dans la vie, les « méchants » qui gagnent (Anne Marivin, vénéneuse, est d’ailleurs superbe…), et il ne reste aux vaincus plus qu’à disparaître, à s’imaginer d’autres vies ou à accepter les mauvais compromis qu’on leur offre. Cette tristesse grisâtre, que diffuse la conclusion de la saison, ce sentiment que, même si l’on a perdu sur quasi tous les tableaux – sentimental, professionnel, familial – la vie continuera, avec ou sans nous, fait le prix d’une série qu’il est facile de négliger sous prétexte de sa popularité, mais qui a fini par nous dire quelque chose sur notre monde. Et sur nous-mêmes.
PS : on écrit ça, satisfaits d’une conclusion intelligente à cette série, et puis on apprend qu’une cinquième saison pourrait bien exister. Déception…
Eric Debarnot