Si l’on est généralement bien disposé vis-à-vis des films de genre « à la Netflix », surtout s’ils viennent d’Espagne, Froid Mortel s’avère non seulement une déception en accumulant les invraisemblances, mais atteint les sommets de l’abjection dans sa conclusion.
Ce n’est pas le genre de choses qu’un cinéphile avoue facilement, mais dans nos « plaisirs coupables » de semi-confinés, il y a depuis près d’un an ces films de genre codifiés mais souvent efficaces que la plateforme Netflix nous offre avec une régularité métronomique, d’autant plus goûteux qu’ils proviennent de pays différents. L’origine espagnole de Froid Mortel est d’ailleurs un plus, les jeunes réalisateurs d’outre-Pyrénées ayant déjà largement prouvé leur capacité à recycler, voire même parfois transcender les codes US en matière de films fantastiques ou de thrillers…
Mais, avec ce Froid Mortel, écrit et réalisé par un jeune réalisateur catalan, Lluís Quílez, dont c’est le premier long-métrage, notre déception va s’avérer bien supérieure à nos attentes, somme toute modérées : à partir d’une idée qui semble s’inscrire dans la très noble tradition du chef d’œuvre absolu de John Carpenter, Assaut (un groupe de policiers et détenus enfermés en « vase clos » doivent faire front commun contre un ennemi mortel et invisible), Froid Mortel est un véritable désastre. Certes ce désastre n’est nullement à imputer à la mise en scène – efficace sans être inutilement spectaculaire -, ni même aux acteurs – tous très bons, très crédibles, avec un jeu plutôt minimaliste qui renvoie lui aussi à un « style Carpenter » -, mais bien à un scénario qui coche toutes les mauvaises cases.
[Attention, la suite de cette critique contient des spoilers]
On sait bien que le film de genre fonctionne largement sur des préceptes invraisemblables (une certaine invincibilité des protagonistes, un enchaînement de situations inextricables dont ils se sortiront malgré tout, etc.), mais l’adhésion du (télé)spectateur dépend – peut-être encore plus qu’ailleurs – de la cohérence du scénario. Celui de Froid Mortel va accumuler tellement d’invraisemblances, voire d’absurdités, que le pacte de croyance entre Lluís Quílez et nous va se rompre très vite, et transformer la vision du film en un chemin de croix : un transport de prisonniers secret /improvisé dont quelqu’un connaît tous les détails à l’avance, un camion qui a dû s’arrêter avec ses pneus déchiquetés mais qui roulera par la suite durant des kilomètres sans problèmes, la non-existence du téléphone portable, les comportements incohérents des personnages dont les alliances et « désalliances » se font et défont sans rime ni raison, etc. etc. Rien ne fait sens dans cette histoire mal écrite, le plus ridicule étant sans doute ce froid, mortel (!) une minute, anodin quelques instants plus tard.
On nous répondra peut-être que nous pinaillons, que nous ne savons plus prendre un plaisir simple qu’on nous offre généreusement – celui du suspense, de l’action, de l’angoisse… Le problème est que Lluís Quílez fait également une erreur de fond qui « tue » littéralement son film, en choisissant contre toute logique de montrer à mi-parcours son mystérieux et implacable assaillant comme un homme ordinaire, presque sympathique (on ne s’appesantira pas sur le fait que quelqu’un puisse connaître tous les détails d’un crime sans témoin, jamais reconnu par ses perpétrateurs, et dont le corps de la victime n’a jamais été retrouvé !). Ce basculement désamorce toute la tension accumulée, et, c’est plus grave, révèle l’abjection profonde de ce que l’on nous raconte : à la manière des pires revenge movies des années 80, il s’agit ici de valider la vengeance individuelle et de justifier la torture la plus extrême. Les scènes finales sont parfaitement ignobles moralement, et classent définitivement Froid Mortel parmi les pires films qu’on verra cette année.
Eric Debarnot