Moins léger et moins drôle que le précédent tome des nouvelles aventures de Lapinot, Un peu d’amour, L’Apocalypse joyeuse a le mérite de poser les bonnes questions sur notre état mental actuel, sur notre cupidité et notre violence de plus en plus libérée.
Lewis Trondheim n’est pas le premier à utiliser la combinaison déroutante des mots « apocalypse » et « joyeuse », oxymore qui interpellera forcément en ces temps troublés. Mais, plutôt que de faire référence à un probable futur noir de l’humanité et de la planète, Trondheim a cette jolie intuition : en tant que « conteurs », et donc inspirateurs potentiels de rêves et d’espoirs, il est de la responsabilité des artistes – romanciers, scénaristes, réalisateurs, etc. – d’imaginer un avenir post-apocalyptique (puisque l’apocalypse est désormais certaine…) qui soit joyeux, plutôt que sombre, violent, dépressif, etc. Après tout, tout effondrement de civilisation n’est-il pas l’occasion d’un nouveau départ ?
On a envie de prendre Trondheim au mot et de lui demander pourquoi, alors, il n’a pas lui-même créé une nouvelle aventure de Lapinot dans un futur post-apo heureux ? Après tout, les premiers tomes de Lapinot, avant que Trondheim n’ancre fermement son héros dans le quotidien contemporain, ont brillamment exploré diverses formes narratives et maintes temporalités…
Mais non, il faut bien croire que la tendance dépressive bien connue de Trondheim est en train de reprendre le dessus, car L’Apocalypse joyeuse est certainement le Lapinot récent le plus « noir », le plus pessimiste, et malheureusement… le moins drôle. En laissant son héros « mort-vivant » se faire lyncher dès la première page par des parents hystériques le prenant pour un voyeur / satyre dans un parc d’enfants, Trondheim ne laisse placer aucune ambigüité sur son propos : nous sommes tous devenus fous ! Et méchants, en plus !
La chute bien ciblée d’une météorite va ensuite confronter Lapinot et Richard aux tréfonds de la vilenie humaine : cupidité, mensonges, violence… Tout l’Apocalypse joyeuse sera donc une succession d’épreuves douloureuses ou décevantes, jusqu’à une conclusion qui n’a rien de rassérénant : comme Trondheim le dit en épilogue, citant un dialogue du film Garden of Evil de Hattaway, « Si la Terre était faite d’or, (…) les hommes mourraient pour une poignée de poussière. »
Si, quelque part, on est bien obligés de souscrire au point de vue philosophique, presque métaphysique de l’auteur (« Il faut croire que Dieu sait super bien viser pour emmerder les gens ! » est sans doute le commentaire le plus juste quant à la trajectoire de la fameuse météorite…) , il faut aussi bien admettre que ce dernier tome s’avère moins léger, moins farfelu, moins drôle que les volumes précédents. Pas de quoi nous poser un problème, mais peut-être de quoi nous inquiéter quant aux sombres ruminations de son auteur, qui reste l’un des plus créatifs et les plus pertinents de la BD française moderne…
En tous cas, au vu de l’épilogue, on est en droit d’attendre – et d’espérer – que Trondheim et Lapinot s’attaquent à la pandémie dans le Tome 6…
Eric Debarnot