On a coutume de dire qu’il ne faut pas juger un livre à sa couverture. Mon père, cet enfer, premier roman graphique de Travis Dandro, n’aborde pas le sujet de la violence envers les enfants mais, thème tout aussi tabou, la garde partagée ainsi que la descente aux enfers paternelle post-divorce.
Deux papas…
Août 1980, Auburn dans le Massachusetts. Travis est un jeune garçon vivant avec sa mère, son père ainsi que ses deux demi-frères. Toutefois, tous les week-ends, Travis part avec David « Dave », qui est le « sympathique monsieur avec qui il joue toutes les semaines, lui apprend la boxe et l’autorise à tenir le volant en voiture ». Le jour de son sixième anniversaire, coup de tonnerre ; Travis apprend par sa mère que David n’est autre que son père biologique et qu’il a présent « deux papas, qui l’aiment fort […] » ; Papa Dave ainsi que son beau-père. Dave, loubard repenti et solitaire, vit en ermite, travaille en tant que manutentionnaire dans l’entreprise paternelle et mène un combat quotidien contre un démon du passé : le suicide de son frère ainé, cette situation l’ayant conduit à une addiction moribonde aux anxiolytiques et antidépresseurs, puis successivement à l’héroïne à un tel point que ce dernier n’hésitera pas à en consommer en présence de son fils qu’il sommera de « ne surtout pas bouger du canapé et de rester devant la télévision ».
« Il est malade papa ? Je l’ai vu faire une piqure comme chez le docteur […] »
Un jour, Travis surprend son père en pleine action et – dans une crédulité et incompréhension infantile – rapporte l’événement à sa mère. Cette dernière, dans une colère noire, interdit formellement à David de revoir son fils. Mais Dave ne l’entend pas ainsi et fonce chez son ex-femme, menaçant d’enfoncer la porte pour kidnapper son fils. Cet épisode se soldera par une arrestation de David, qui repartira menotté sous les yeux de son fils, ce dernier étant sorti du placard dans lequel il avait eu pour consigne de se cacher. Suite à cet événement, le traumatisme infantile est subtilement représenté, de manière muette sur plusieurs pages dépourvues de phylactères.
La suite de l’intrigue repose alors sur la ténacité de David qui veut retrouver son fils, puis, après un arrêt du récit de dix ans (David a été condamné à la prison…), sur l’impossibilité du retour à une vie « normale », alors que Travis, adolescent tourmenté et solitaire, a trouvé refuge dans le dessin…
Un premier roman graphique autobiographique
Travis Dandro a réussi avec brio l’exercice peu simple du roman graphique autobiographique, le risque étant que ce soit toujours trop long ou trop fourni en péripéties inutiles. La construction, ponctuée de digressions graphiques et d’une ellipse narrative de dix ans, rend la lecture agréable, en allégeant le thème principal plutôt étouffant du divorce, du repli et du traumatisme inhérent, le tout étant conté sous le prisme de l’innocence et la naïveté enfantine.
Nayl Badreddine