Delirium publie le second tome de l’intégrale du fascinant sorcier Nemesis, un album sombre aux somptueux dessins. Vous avez aimé Big Brother ? Vous adorerez Torquemada !
Nemesis, c’est du lourd. Admirez le travail : la couverture, l’impression et les contrastes sont magnifiques. L’album regroupe des épisodes publiés aux États-Unis entre 1984 et 1988. Le scénario est fou et fidèle au programme éditorial de Delirium. Il alterne tragédies universelles et individuelles, cynisme et rebondissements. Par l’extravagance de ses mondes et l’originalité de ses personnages, il rappelle, en plus noir et plus âcre, L’Incal, le space opera de Moebius.
Épuisée par des guerres dévastatrices, l’humanité terrifiée vit cachée sous terre. Les survivants se donnent un maître xénophobe et cruel, puis se lancent dans la colonisation de l’espace et exterminent les aliens. Torquemada est l’incarnation de la méchanceté et du sadisme. Il massacre et torture pour le bien, pour la pureté de sa race. Son implacable bonne conscience séduit et rassure. Voilà pour le méchant.
Que penser du gentil ? La Némésis grecque était l’incarnation de la juste colère des dieux et du châtiment céleste. Cuirassé de métal et anguleux, son corps est l’improbable alliance de pattes de bouc, d’un torse athlétique et d’un visage naturellement sarcastique. Sa tête est inconcevable, imaginez un nez plat et effilé en aile d’avion, des oreilles en pointes, des yeux vides et agressifs, une immense bouche aux fanons de cétacé. Ajoutez un caractère altier et ombrageux, un égocentrisme paternel et libertaire, c’est Nemesis, le tout-puissant alien. Pat Mills ne nous épargne pas. Son sorcier est sombre, égoïste et tout aussi impitoyable.
Nemesis a tué Torquemada. Pour assouvir sa vengeance, Toth, le fils de Nemesis, le ressuscite afin de le tuer indéfiniment. Némésis s’allie ponctuellement à Torquemada pour retrouver son fils et, incidemment, sauver la galaxie. Pat Mills privilégie la figure de Torquemada, son véritable « héros ». Leur affrontement les amène à parcourir l’Histoire, le tyran s’allie à ses lointains épigones, d’Hitler au fameux inquisiteur Tomás Torquemada. Soutenu par des dialogues de qualité, le propos devient politique.
Nemesis, c’est aussi un fabuleux dessin. Pat Mills a fait appel à trois illustrateurs aux styles différents. Kevin O’Neill a créé la série. Ses personnages flirtent avec la caricature. Souvent esquissés, ses décors incorporent des éléments comiques. Bryan Talbot et John Hickenton sont des artistes. Talbot est un classique, ses proportions sont justes et ses décors somptueux. Hickenton cultive les violents contrastes, son dessin baroque et torturé est peu lisible. Certaines de ses pages évoquent le mythique Lone Sloane de Philippe Druillet, tout aussi extravagant et nihiliste, mais plus coloré. Noir, c’est noir.
Stéphane de Boysson