[Netflix] Malcolm & Marie : love story ratée ou choc esthétique ?

Sam Levinson divise nos critiques avec son film Malcolm & Marie. Pour l’un, il s’agit d’un film dont beauté formelle fusionne avec la puissance des mots, et pour l’autre, un huis clos amoureux, chic et glamour, sans aucun intérêt… A vous de voir et de choisir.

Malcolm & Marie: John David Washington, Zendaya
© Netflix

[pour]

D’abord, il y a le grain. Un noir et blanc filmé en argentique probablement, une qualité de film qu’on ne trouve plus trop dans les technologies actuelles de captation. Ce noir et blanc magnifique qui nous happe et nous enferme directement dans l’opacité du couple que nous allons suivre pendant presque deux heures. Comme confinés, mais de belle manière. Comme confrontés en huis clos au petit séisme conjugal d’une nuit, peut-être d’une vie.

Sam Levinson a choisi un film-confinement pour proposer un écrin à son actrice star Zendaya, qui s’est imposée dans la série Euphoria du même Levinson, avec un rôle incroyable qui lui vaudra un Emmy Award à même pas 24 ans… Zendaya donc, face à John David Washington : LE face-à-face d’un jeune couple branché, lettré, avec leur incompatibilité à discuter quand l’un reproche toujours à l’autre son absence d’empathie ou son absence de considération. S’il est surtout question d’amour et de respect mutuel, c’est aussi l’art, la célébrité, la discrimination, le pouvoir qui sont ainsi débattus, décortiqués dans Malcolm et Marie.

Sous la forme de longs dialogues (ou monologues) parfois à la limite du verbiage, le film propose des scènes assez impressionnantes avec ses deux personnages qui se débattent (contre eux-mêmes) dans une maison high-tech et magnifique, sous une bande-son « black Sound » chic et parfaite, pour se laisser aller à leur déception, leur rancœur, leur colère ou leur sourde passion. Ça crie, ça pleure, ça fait la gueule, ça s’ennuie un peu… Ça joue surtout.

Évidemment, il fallait des acteurs parfaits, ou du moins capables de fasciner et tenir en haleine le spectateur – surtout celui de Netflix, peu habitué aux digressions intellectuelles du milieu du cinéma.

Et ils sont parfaits. On peut même dire que l’écran est crevé d’emblée avec Zendaya qui propose une incroyable partition, à la fois fragile et affirmée, face à son acolyte masculin qui reste un peu plus dans le surjeu parfois. Mais on n’oubliera pas de sitôt leur confrontation brillante, qui fout souvent des frissons, et qui rappelle des scènes magistrales du cinéma de Cassavetes.

Évidemment, le parti-pris esthétique de Levinson peut énerver, le chic glamour un peu vain et très « pub de parfum » sied pourtant parfaitement à la fausse indolence poseuse de Malcolm trop sûr de lui et de Marie trop perdue dans ses interrogations. Mais quand tout explose, quand les confidences font basculer l’un dans la perte de repères de sa vie et son couple, et l’autre dans l’affirmation de ce qu’elle veut ou ne veut plus, alors la beauté formelle du film fusionne avec la puissance des mots sur les non-dits. Et le résultat nous laisse à la fois impressionnés et hagards, comme nous avait laissé Euphoria il y a 2 ans…

Il faudra probablement compter avec Levinson et Zendaya pour continuer à assurer un nouveau souffle au cinéma esthétique et puissant. Le rendez-vous est pris.

Jean-François Lahorgue

[contre]

À un instant, assez tôt dans le film, dix minutes peut-être, et alors qu’on se rend compte déjà que le film flirte avec le truc poseur à partir du moment où Sam Levinson décide de filmer John David Washington, dans la peau dudit Malcolm, en train de se déhancher puis d’aller et venir en devisant sur son film et sur les critiques tout ça en plan-séquence évidemment, et donc à cet instant, assez tôt, ladite Marie balance à Malcolm « Nothing productive is going to be said tonight » / « On dira rien de constructif ce soir ». Tu parles, quel euphémisme. Et quelle clairvoyance aussi de pouvoir, à cet instant, assez tôt, résumer ce que sera le film : une jolie babiole sans aucun intérêt. Une mascarade arty.

Lui, Malcolm, est un jeune réalisateur dont le nouveau film a enflammé le public et les critiques, à l’avant-première d’où ils reviennent. Elle, Marie, est une ancienne toxico, une jeune mannequin qui tente de percer, une actrice qui a du mal. Ils s’aiment, visiblement. Mais pas ce soir. Ce soir c’est prise de tête, ce soir ça va rugir, dire des méchancetés, confronter des vérités. La chamaillerie va se dérouler en trois temps, en tout cas se baser sur trois observations, trois «reproches» formulés par Marie : Malcolm a oublié de la citer dans son discours de remerciements ; Malcolm refuse de la considérer comme source d’inspiration de son film, éventuellement sa muse ; Malcolm ne lui a pas proposé le premier rôle de son film qui semblait lui revenir logiquement.

 

Malcolm & Marie
© DOMINIC MILLER/NETFLIX

À partir de là, à partir de ça, le couple va mettre à nu le fonctionnement de chacun non seulement par rapport à l’autre, mais aussi dans son rapport à la célébrité. Programme passionnant, du moins qu’on espérait passionnant, décortiquant la brouille passionnelle d’un homme et d’une femme à force de vanité, de mésentente et d’incompréhensions sur leur statut face à la notoriété. Programme dont le maître-mot sera incommunicabilité, entérinée par une volonté de scission dans les dialogues tout au long du film qui ne fonctionnera que rarement sur des échanges, une vraie interaction même si c’est en s’engueulant, même rongée de silences. Et qui ne sera en réalité qu’une suite de monologues, de logorrhées égotistes où, problème, Zendaya et Washington font leur show chacun à leur tour.

Un coup c’est moi qui argumente, un coup c’est toi qui affirmes, un coup c’est moi qui morfle, un coup c’est toi qui prends cher, et ainsi de suite, chacun dans son temps imparti, pause cigarette comprise. De fait, on n’a rarement l’impression de voir un couple se déchirer, se rabibocher un peu, se déchirer encore plus, de constater entre eux un gouffre qui se serait ouvert pour de bon, mais plutôt deux acteurs prisonniers d’un scénario qui n’appelle qu’à la performance individuelle, au bigger than acting, voire au cabotinage (en particulier chez Washington). C’est évident par exemple dans la diatribe de cinq minutes de Malcolm contre une critique (élogieuse) devant laquelle on se contente simplement de regarder Washington en train de jouer (non, de s’époumoner), de faire SA grande scène, plutôt que d’incarner son personnage.

Pendant ce temps, Zendaya se morfond sur le canapé, curieuse image miroir de nous, esquissant quelques sourires et attendant poliment son tour pour balancer son texte. Ces deux-là ont beau être glamour à mort, ils ne sont justement que ça. Du glamour avec du vide autour. Levinson ne leur offre qu’un écrin chic tendance Antonioni (La nuit), à la fois dénué d’une belle partition en duo majeur qui revisiterait délitement conjugal et emprise créatrice, et encombré d’une écriture méta (débat critique, représentation raciale, male gaze, art vs Hollywood…) lourde et un rien éculée. C’est quoi la phrase déjà ? Ah oui, «On dira rien de constructif ce soir». Dont acte.

Michaël Pigé

Malcolm & Marie
Film américain réalisé par Sam Levinson
Avec Zendaya, John David Washington…
Genre : Drame
Durée : 1h46min
En ligne sur Netflix depuis le 5 février 2021