Chevalrex – Providence : entre mélancolie et hédonisme radieux

De disque en disque, Chevalrex, nom derrière lequel se cache Rémy Poncet, construit un univers aux airs de délicat nuancier.  Providence, son déjà 4e album n’est pas bien différent de ses aînés, il en est peut-être une maturation nécessaire. Lentement mais sûrement, Chevalrex s’installe dans le paysage musical comme un de ses meilleurs aquarellistes.

Chevalrex - Rémy Poncet
© Polina Panassenko

On peut bien le dire, il existe deux catégories de musiciens, ces artistes qui dans un premier jet inaugural disent tout et n’en finissent pas de se répéter ensuite de disque en disque à la recherche (souvent vaine) de la première inspiration et puis il y a ceux qui se font hésitant, tâtonnent, cherchent sans trouver, trouvent sans chercher. Les premiers nous intimident du haut de leur piédestal. Les seconds nous ressemblent, ils assument nos maladresses, nos timidités, nos gestes absents.. Les premiers nous sont inaccessibles, les seconds ressemblent à  ce que l’expression anglaise Boy next door exprime le mieux, le bon copain, le mec simple en somme.

Chevalrex – ProvidenceRémy Poncet, c’est le Boy next door par excellence ou plutôt sa musique l’est assurément. Elle est immédiatement accueillante, immédiatement empathique. Toutefois, il ne faudra pas imaginer trouver dans les chansons de Chevalrex une forme de béatitude un peu béta car ce qui rend les compositions de Chevalrex aussi évidentes, c’est cette volonté à faire appel à l’intelligence de son auditeur. La musique de Chevalrex ne choisit jamais entre la ligne claire et les circonvolutions, la faute sans doute au génie d’enluminures du jeu de guitare de Mocke Depret immédiatement identifiable.

Ce qui coule tout au long de Providence, c’est cette mélancolie souriante, cette dérive qui cherche à se contrôler. On pensera parfois à Troy Von Balthazar ou à Stephin Merritt pour cette joie frelatée mais comme toute cette génération qui s’installe lentement dans le paysage musical français, ces jeunes musiciens éduqués par la culture Internet, on sent des artistes ouverts à toutes les scènes sans querelle de clocher ou sans école du bon et du moins bon goût. Cette génération a perdu une de nos tares, un petit rien de superflu qu’était le snobisme. On peut aussi bien citer à l’envie Daniel Johnston et Yves Simon, Alain Souchon et la Noise Pop. C’est sans doute en cela que Providence se révèle accueillant car il n’est jamais ombrageux ou donneur de leçon. A sa manière populaire, Providence peut en cela faire penser aux disques de Baptiste Walker-Hamon ou à ceux de Renaud Brustlein alias H-Burns.

Providence est sans aucun doute à ce jour le disque le plus incohérent de Rémy Poncet. Extirpez tout de suite la nature péjorative à ce mot « incohérent « car en bon touche-à-tout, Chevalrex n’hésite pas à piocher ici et là entre réminiscences eighties (Au crépuscule), ligne claire Pop (Providence) ou Power Pop (Tant de fois). Rémy Poncet semble nous prendre à contrepied tout au long du disque, c’est sans doute de là que la magie se déploie, de cette absence de liant, absence en trompe l’oeil sans doute. Providence ressemble finalement à une rencontre possible entre les productions de feu le label Sarah Records et un goût pour une langue française, la glotte se fait tour à tour tremblante d’une émotion non feinte (Mauvais départ) ou rieuse (Dis à ton mec), parfois les deux ensemble dans un mouvement commun. Le temps d’Ophélie, Dominique A et le Gainsbourg de Melody Nelson font la noce, l’un apportant sa blancheur atone, l’autre la joie des ombres.

A l’image d’un Camille Bénâtre, dans un je ne sais quoi, Rémy Poncet convoque de grands espaces, de ceux que l’on croise chez Mercury Rev dans un souvenir confus, L’endroit d’où je parle ressemble en bien des points à une forme de réponse à Un Endroit, ce morceau extrait de Caldeira (2007) disque sublime de Valérie Leulliot.

« A la tombée du jour
juste en bas de chez moi
j’aperçois le futur
j’y serai mort c’est comme ça »

ChevalrexDésirade

Et si tout ce qui fait Chevalrex était contenu dans ces phrases extraites du titre qui vient conclure Providence. Et si on pouvait prendre ce postulat comme une sorte de manifeste esthétique et philosophique. Si rien n’est grave pourquoi pas vivre pleinement et totalement, tenter et tout tenter ? Loin de s’abandonner au renoncement, la musique de Chevalrex est une invitation à prendre une escapade, une chance à percevoir le monde et la vie autrement. Après tout, si l’on s’en tient au dictionnaire, Providence ne veut-il pas dire « Personne ou évènement qui arrive à point nommé pour sauver une situation ou qui constitue une chance, un secours exceptionnel. » Même si Rémy Poncet n’a sans aucun doute pas la prétention à nous extraire du marasme et à nous porter secours, il signe avec Providence un disque refuge, une œuvre nécessaire parce qu’inutile, utile car singulière, singulière car familière, familière car personnelle, personnelle car universelle. 

Chevalrex chante les gestes interrompus, les rêves à peine esquissés et déjà oubliés, les faux-départs, les petits ratages qui ne sont jamais vraiment des échecs ni des naufrages. Si l’on n’y prêtait pas plus attention, la musique de Chevalrex pourrait nous sembler presqu’inoffensive mais c’est pour mieux nous cueillir, mieux  nous prendre pour ne jamais nous quitter.

Providence ressemble au disque du copain voisin, du musicien brillant mais accessible, le Boy next door, comme quoi on peut écrire avec distance et modestie et créer un disque essentiel. La beauté de la simplicité, la simplicité de la beauté.

Greg Bod

Chevalrex – Providence
Label : Vietnam / Because Music
Sortie le 22 janvier 2021