On joue à Délivrance dans le nord de la Suède : si Cibles mouvantes n’a pas grand-chose d’original, et souffre d’un ou deux mauvais choix, il reste un petit thriller efficace, voire même « divertissant ».
Depuis l’inoubliable Délivrance, tout le monde sait bien que la beauté de la nature dissimule à peine la laide sauvagerie humaine, qu’il ne fait donc pas trop bon baguenauder dans des lieux isolés quand on est d’innocents citadins, sous peine de se retrouver à jouer le rôle du gibier. En Suède, il fait très froid et ça rajoute un peu de piment quand un petit couple, qui pensait recoller les morceaux de leur couple en contemplant ensemble les aurores boréales, se retrouve à courir devant le « point rouge » (le Red Dot du titre international du film) d’un viseur laser. Bref, pas grand-chose de nouveau et de surprenant a priori dans ce thriller écrit et réalisé par l’inconnu – principalement responsable jusque là de séries TV dans son pays – Alain Darborg… et ce d’autant que la scène d’introduction de Cibles mouvantes joue au « gâchage » gratuit de ce qui va se passer ensuite !
On est évidemment ici dans du cinéma de pur divertissement – d’ailleurs, on y tue des chiens, ce qui n’est jamais bon signe du point de vue de l’éthique du scénario – qui fait semblant un moment de pouvoir traiter un sujet plus pertinent et d’actualité, le racisme scandinave vis-à-vis d’étrangers à la peau moins claire, pour laisser tomber cette piste pas si bête au profit d’un twist – que l’on ne révèlera pas ici – également malin, mais artificiel comme tous les twists depuis un quart de siècle.
Il est néanmoins difficile de se montrer trop négatif vis-à-vis d’un film qui sait ne pas trop en faire (Cibles mouvantes n’atteint même pas les 90 minutes, ce qui est toujours un bon signe…), et qui a le mérite d’être réalisé avec une indéniable efficacité : Darborg se concentre sur la peur de ses protagonistes et sur leurs stratégies de survie, n’étire pas inutilement son suspense, ne nourrit pas son scénario assez simple de diversions superfétatoires, et ne joue même pas la carte tellement usée de la beauté de la nature. Dans Cibles mouvantes, tout est blanc et gris, froid et laid, et on n’est pas là pour rigoler.
Sans doute Darbog commet-il quand même une vraie erreur, c’est de nous rendre son couple de « gibiers » trop rapidement détestable : si, dans Délivrance, la force de Boorman était de nous révéler lentement que la saloperie humaine était aussi du côté des victime innocentes, Darborg ne se prive pas depuis le tout début de nous montrer combien Einar est lâche et littéralement « vide », et que le couple qu’il forme avec Nadja est condamné dès le départ. Cela a pour effet de nous priver de toute véritable empathie vis-à-vis de ces « victimes », mais aussi de désamorcer la (petite) surprise finale.
On ne sera néanmoins pas trop durs vis-à-vis de ce petit film, qui n’est clairement pas subventionné par l’Office de Tourisme suédois, et qui n’a rien de honteux par rapport à beaucoup de films de genre que l’on trouve en ce moment de disette sur les plateformes de streaming : Cibles mouvantes nous aura quand même fait passer quatre-vingt six minutes « divertissantes », ce qui n’est pas si mal.
Eric Debarnot