Etonnante découverte du label Dixiefrog, le musicien néo-zélandais Grant Haua prouve, si besoin est, que le Blues n’a pas de frontières, et que la simplicité et la sincérité permettent de parler directement au cœur de chacun d’entre nous…
Le Blues ! Ah… le blues. Plus d’un siècle d’existence, et aucun signe d’épuisement depuis que les esclaves africains du Sud des Etats-Unis ont mélangé leurs héritages folkloriques pour mieux exprimer les « idées noires », ces fameux « blue devils », et pour chanter en « travaillant ». Pour survivre à l’horreur infligée par les Blancs, race maudite qui n’a pas encore commencé à payer pour ce qu’elle a fait au monde. Et ces ordures de Blancs, ils ont évidemment compris le potentiel de ces trois « notes bleues » et de ces douze mesures : des faux voyous et vraies crapules que furent Messieurs Jagger et Richards au faux esthète qu’est encore Jack White, on a piqué et repiqué tout ce qu’on pouvait à cette musique littéralement divine, parce que tellement humaine. Il est inévitable que la puissance du Blues continue à inspirer à travers le monde toutes sortes de musiciens, qui y trouvent le véhicule idéal pour chanter leurs peines les plus triviales (de cœur, mais pas seulement…) comme leurs désespoirs les plus profonds. Et probable que le Blues ne deviendra jamais, comme c’est – au moins partiellement – le cas du jazz, une musique réservée à des esthètes et à de fins connaisseurs…
Si on remonte encore plus loin dans le temps – nous voilà à la moitié du XIXè siècle – et on voyage à l’autre bout de la planète, on se retrouve en pleine Guerre Maorie : les colons anglais, si disposés à massacrer tout ce qui n’avait pas leur couleur de peau et ne prenait pas le thé l’après-midi, se heurtent aux autochtones polynésiens de Nouvelle-Zélande, et finissent par les asservir, avant de faire tout leur possible pour faire disparaître leur riche culture. Les Maoris ne jouaient pas de Blues, d’après ce qu’on en sait, mais ils auraient pu.
2021, Paris. Dixiefrog, label français, signe Grant Haua, bluesman maori (eh oui, on y arrive), et publie Awa Blues, second album après un Knucklehead datant déjà d’une dizaine d’années et passé à peu près inaperçu de notre côté du monde. Et quand on pose Awa Blues sur sa platine, qu’on soit fan de Blues ou non, qu’on s’intéresse à la culture Maori – en pleine renaissance d’ailleurs -, on prend un choc. Une voix magnifique (tout le monde cite Tom Jones, ce qui est quand même paresseux, et pas forcément attirant pour les fans de « vrai Blues »), un jeu de guitare à la fois complexe et totalement fluide, des chansons d’une simplicité terrassante, des mélodies accrocheuses, lumineuses même, et des textes tellement simples qu’ils en deviennent essentiels : « Do you feel you’ve been missing out ? And don’t it make you wanna shout ? » (N’as-tu pas l’impression qu’il te manque quelque chose ? Et est-ce que ça ne te donne pas envie de hurler ?) sont les premiers mots qu’on entend (Got Something), et « What might have been, now silently I scream, and I long for what might have been » (Ce qui aurait pu être, maintenant je crie en silence, et je regrette ce qui aurait pu être) les derniers qui referment l’album (Might Have Been). Ce n’est pas forcément de la poésie, penserez-vous, mais, en fait, ça a… du poids : chanté par cette voix magique, c’est beau, c’est clair, ça parle directement au cœur.
Awa Blues n’est pas que du blues, en fait : Grant Haua joue aussi du folk, et, même on en n’y connaissant rien en « musique maorie », semble abreuver sa musique d’un filet d’exotisme qu’on a du mal à placer sur notre carte habituelle du monde musical, donc qu’on qualifiera – là encore, paresseusement – de néo-zélandais.
Et puis, de toute manière, même si vous n’aimez pas particulièrement le Blues, faites le test : posez aussi ce disque sur votre platine quand vous n’êtes pas seul : sans faire particulièrement de bruit, Awa Blues arrête les conversations.
Eric Debarnot