Des chrysanthèmes jaunes est un roman sur la vie, l’amour, la mort et l’amitié, la fidélité et la trahison, les taloches, Franco et la movida. Ecrit avec beaucoup de classe et d’humour et de poésie par Rafael Reig. Un beau roman, qu’il faut lire et relire !
On pourrait résumer la chose assez simplement : il y a dans la vie deux catégories de gens, les uns sont dedans et les autres sont dehors. Ou plutôt, ceux qui pensent en être et ceux qui savent ne pas en être. Une sacré différence … même si au final, que vous soyez dans une catégorie ou dans l’autre, que vous soyez puissant ou misérable, votre tombe sera fleurie des mêmes chrysanthèmes. Para morir iguales est d’ailleurs le titre original du très beau roman de Rafael Reig. Car, comme le dit la voix off à la fin de Barry Lyndon, « It was in the reign of King George III that the aforesaid personages lived and quarreled ; good or bad, handsome or ugly, rich or poor, they are all equal now ».
Ici, ce n’est pas l’Angleterre de la fin du 18ème siècle, mais l’Espagne de la fin du 20ème. George III n’est plus roi. C’est le généralissime Francisco Franco et Juan Carlos qui sont au pouvoir. Tout commence au milieu des années 1970, l’Espagne vit la fin de la dictature franquiste et s’apprête à commencer la transition démocratique. La movida, la liberté sexuelle, les investissements fructueux sur les marchés financiers, et la crise de 2008… Mais Pedrito Ochoa, le personnage principal du roman, va y vivre une vie à la Barry Lyndon.
Parce que ses parents ont commis une faute et que personne ne veut s’occuper de lui, direction un pensionnat religieux. La Sagrada Familia … la safa ! Il a 12 ans. Son éducation commence. A coup de taloches sur la tête – celles que lui donne les bonnes sœurs qui gèrent l’institution ou de celles que lui filent certains de ses camarades. A coup d’attouchements – ceux auxquels il échappe mais pas ses camarades … Pas toujours facile. Mais il y a les amis. Cette amitié qui ne s’oublie jamais. Il y a l’amour et Mercedes. Il y a le sentiment de faire partie de quelque chose. Être enfermé à la safa, voir le monde de l’intérieur, avec des gens qu’il n’oubliera jamais, en vivant des expériences uniques que ne vivent pas ceux qui sont dehors, permettra à Pedrito et ses amis deviendront ceux qu’ils sont. Et ils le resteront, au-delà des accidents de la vie, des changements de direction et les coups du sort, de la réussite. Pedrito apprends la vie à la safa et ne changera pas.
Des chrysanthèmes jaunes est un roman d’apprentissage – un gamin devient un ado et un homme. C’est un roman qui nous raconte aussi l’histoire d’une société, comment elle a changé – pour certains, mais pas pour tous. Un roman qui nous parle des déterminismes sociaux et de la difficulté d’échapper à ce que la société fait de nous. C’est un roman sur l’amitié et l’amour. Ces sentiments si forts qu’on ne peut pas y échapper. C’est un roman sur la fidélité et la trahison. Sur la famille. Sur … plein de choses, en fait. Sur la vie, ce qui fait qu’on réussit sa vie ou pas ; qu’on croit la réussir ou pas. Bref, un roman fort. Mais pas lourd. Des chrysanthèmes jaunes est un roman un roman dans lequel on se sent bien. Les personnages sont beaux – même les moches ! On aime les beaux et on déteste les moches. On prend les baffes avec Pedrito et, avec lui, on prend la main de Mercedes et on l’aime et on a envie de la défendre. On se promène avec lui dans les rues de Madrid. On va à la plage avec ses grands parents. On aime Paquita … Rafael Reig réussit à nous faire partager tout ça dans un style lumineux, d’une grande poésie, avec délicatesse et beaucoup d’humour – l’apparition de la vierge est absolument incontournable ! Un roman qu’on ne peut pas ne pas aimer et ne pas avoir envie de relire.
Alain Marciano