Sur un canevas très classique, le réalisateur Paul Greengrass propose avec La Mission un western, un « Film de convoi », de très belle facture avec lequel il remonte aux origines même de la nation pour éclairer la décadence du présent.
On pouvait imaginer Paul Greengrass, spécialiste du film d’action énergiquement filmé à l’épaule, s’essayer au western à l’occasion d’une relecture décrassée des fusillades ou affrontements inhérents au genre. Le récit qu’il choisit néanmoins d’adapter est plus étonnant, davantage dans la veine d’un True Grit que d’une Horde Sauvage. Film de convoi, La Mission relate ainsi la prise en charge par un ex-capitaine de la guerre de Sécession d’une petite fille adoptée par les indiens et désormais orpheline.
Un canevas résolument classique pour lequel la performance du paternel Tom Hanks trouvera ses aises, et qui alignera un peu mécaniquement tous les invariants du genre (torrent, tempête, indiens, bandits, précipices, etc.) en se dirigeant vers un dénouement peu surprenant, au fil de beaux paysages et d’une imagerie iconique (le soir au coin du feu, le bivouac, la ligne d’horizon…) honorée par une photo soignée. Le duo lui-même, fondé sur les incompatibles en voie de fusion, n’évitera aucun des attendus, du mutisme à la communication, de la complicité à la tendresse, permettant une leçon de tolérance sur l’ouverture à la culture indienne et un travail de deuil pour celui qui doit apprendre le veuvage en même temps que la paternité.
La réussite du film tient dans sa bonne facture générale, mais surtout dans le soin apporté à certains de ses motifs. Les scènes d’action, assez équilibrées, trouvent leur climax dans un siège sur une colline de rochers qui rappelle les superbes dénouements des westerns d’Anthony Mann, dilatée et structurée dans un silence d’une belle efficacité.
Au fil des rencontres, la tension liée aux antagonistes dépasse le cadre du simple obstacle pour proposer un regard très noir sur l’état du pays, un Sud traumatisé par la défaite et pour qui la réconciliation n’est qu’un synonyme de l’humiliation. C’est là que se joue un élément clé du récit, renforcé par le titre original (News of the World) qui rappelle le métier du protagoniste, lecteur de journaux pour les populations des villes qu’il traverse. Ces séquences permettent la prise de parole de la collectivité, par les commentaires spontanés sur les actualités, surtout lorsqu’elles sont fédérales, et la métamorphose du lecteur en une sorte de pasteur laïc qui appellerait à l’apaisement, avant de retrouver les vertus ancestrales du récit pour souder la collectivité.
Cette question de la fracture et du rapport à l’Histoire se propage dans un autre chapitre, où le duo se retrouve dans une région fermée, sorte d’enfer en vase clos dans lequel perdure l’esclavage et où les bisons sont dépecés vivants, et dont le grand patron a créé son propre journal. Tout parallèle avec l’Amérique de 2020 est évidemment attendu… Après Mank, qui traitait des fake news dans les années 30, Paul Greengrass remonte aux origines même de la nation pour éclairer la décadence du présent. Dès lors, le parcours des personnages prend un autre sens : lorsque le capitaine parle de la ligne droite et de l’oubli, la fillette lui répond par le cercle du langage indien, et la nécessité du souvenir pour mieux avancer : par-delà le film, un appel à la mémoire du sang qui a forgé l’histoire, et que la civilisation devrait pouvoir réserver au passé.
Sergent Pepper