Toledano et Nakache adaptent avec brio la série israélienne BeTipul en la replaçant dans un contexte post-Bataclan. Une très belle réussite portée par de formidables comédien(ne)s : Mélanie Thierry, Reda Kateb ou Pio Marmaï.
Ce n’est qu’au bout des 35 épisodes de En Thérapie que le générique nous saute à la figure : ce fil qui se tend et se détend autour d’images de vie et de famille, ce fil empli de craie comme ceux que l’on tend pour déterminer la droiture des tracés de construction, ce fil qui se délite pour se casser à la toute dernière image… ce fil est une habile métaphore des ressorts de la série incroyable produite et diffusée sur Arte en ce mois de février.
La série israélienne à l’origine, développée dans de nombreux autres pays, s’adapte au contexte français en la situant au lendemain de l’attentat terroriste tragique du Bataclan de novembre 2018. Nous suivons les séances de psychanalyse de cinq patients : une chirurgienne ayant dû intervenir sur les victimes après le concert, un policier de la BRI qui est intervenu durant l’assaut contre les tueurs, mais aussi, un peu éloigné de l’événement, une lycéenne nageuse qui s‘ est jetée en vélo sous les roues d’un automobiliste, et un couple au bord de la rupture et qui n’arrive plus à communiquer. Par ailleurs, et c’est une habile mise en abîme du sujet, le psy lui-même se décide à aller consulter une amie confrère pour lui faire part de ses doutes professionnels et de sa difficulté à gérer son couple et sa famille. Autour de cet épisode terroriste, marquant notablement tout un chacun, les protagonistes vont se livrer plus ou moins spontanément ou efficacement à Philippe Dayan, durant ces travaux-consultations qui dureront le long des épisodes de la saison… soit 35 moments découpés, pas plus de trente minutes chacun, au cours desquels le spectateur va suivre l’évolution ou la dissolution des personnages lors de face-à-face impressionnants.
Le procédé peut au départ rebuter : Toledano et Nakache, les réalisateurs-stars de Intouchables et Hors-Normes ont choisi la sobriété de longs plans dans le salon de consultation du psychologue. Ambiance confidences sur le divan, champ-contrechamp, peu de superflu sonore. Les comédiens se font face, le jeu des dialogues demeure l’enjeu essentiel de la série, ainsi que son interprétation. En effet, l’impératif de ce cadre télévisuel reste donc un scénario au cordeau, et un jeu d’acteur irréprochable, car aucune place n’est laissée à l’improvisation, ou très peu…
Bonne pioche : les comédiens sont tous exceptionnels. Ceux que l’on connaît déjà impressionnent (Mélanie Thierry tout en douceur, charme et fébrilité exacerbée, Reda Kateb capable de jouer absolument tous les registres avec une force et une sensibilité redoutables, Pio Marmaï impeccable en mari hautain mais très très fragile… et les quasi-découvertes subjuguent : Clémence Poesy, sortie de son apparition dans les Harry Potter, campe une épouse complexe, déterminée et toujours au bord du gouffre, et la jeune Céleste Brunnquell, véritable révélation, déploie des variations magistrales d’une ado étouffée par ses parents, sa pression de sportive de haut niveau, ses souffrances d’enfance et sa détermination de future adulte paumée… Chaque épisode, qui explose graduellement au fil des séances, nous laisse conquis et estomaqués, surtout quand, irrémédiablement, les souffrances ou non-dits des uns et des autres, passés au scanner des analyses du psy, nous confrontent à nos propres peurs, doutes et questionnements.
Résultat de la séance télévisuelle : on engloutit les épisodes courts et denses de manière frénétique, en voulant absolument savoir ce qu’il va advenir de ces portraits magnifiques de personnages en souffrance, comme un téléfilm à suspense où le dénouement s’avère largement plus complexe que la situation de départ. Et on admire la force de ce métier où l’on donne largement plus que ce qu’il n’y paraît, rôle-pivot génialement porté par Frédéric Pierrot face à ses patients.
En Thérapie est une formidable réussite, où intelligence et rigueur aboutissent à un maelström d’émotions qui nous amènent bien plus loin qu’un simple divan ou un écran de télévision. Á l’heure d’une crise sanitaire et sociale majeure, la série, déjà un incroyable mais compréhensible succès, met des images sur nos angoisses et notre difficulté à imaginer un avenir serein. Du grand art, qu’on croie à Freud ou pas.
Jean-François Lahorgue