Pour ceux qui, comme nous, avaient manqué la première publication du fameux manga radical Dragon Head, Pika nous offre l’opportunité de nous rattraper avec une nouvelle édition en 5 tomes. Âmes sensibles, s’abstenir ! Ou pas…
Minetarô Mochizuki n’est pas forcément l’un des noms les plus fréquemment cités quand on parle en France des mangakas dont il est essentiel d’avoir lu l’œuvre, et la maison Pika s’est sans doute donné pour mission de faire mieux connaître l’un de ses mangas les plus célèbres au Japon, qui avait fait forte impression lors de sa sortie originale en 1995, dans le genre de format « anthologique », plus grand, plus volumineux (cinq tomes pour reprendre les dix volumes originaux), plus luxueux aussi qui permet de séduire un public plus exigeant peut-être que les passionnés purs et durs du genre.
Dragon Head est un récit post-apocalyptique, un genre forcément très en vogue dans notre monde désormais profondément angoissé quant à l’avenir de la planète, mais ce premier volume ne nous parle – pour le moment – que de trois adolescents, Teru, Nobuo et Ako, uniques survivants d’une catastrophe ferroviaire provoquée par l’effondrement d’un tunnel. Soyez immédiatement avertis : Dragon Head n’est pas fait pour les âmes sensibles, et encore moins pour les claustrophobes : Mochizuki imagine le récit d’une survie particulièrement difficile pour nos trois « héros », avec peu de nourriture et d’eau, avec une chaleur qui monte peu à peu, au sein des décombres dangereux du tunnel et du train, entourés des cadavres se putréfiant peu à peu des autres voyageurs. Pire, le pétage de plomb n’est pas loin, et la solidarité entre les deux garçons et la fille quasi inexistante.
Entre l’obscurité profonde qui domine une grosse partie des images désespérantes de Mochizuki, la description minutieuse d’un environnement impitoyablement hostile, et des péripéties qui semblent faire du sur-place ou au mieux tourner en rond, le sentiment d’asphyxie et d’angoisse que génère Dragon Head est tout bonnement étonnant. Et l’on ne parlera pas de plaisir lorsque l’on se laisse prendre au piège de ces presque 500 pages totalement anxiogènes, mais plutôt de fascination incontrôlable !
Ultraréaliste, quasiment dénué de rationalisation « psychologie » qui pourrait nous rassurer, ou même seulement nous aider à comprendre les comportements des protagonistes – en dehors de quelques rares flashbacks expliquant de manière minimale les origines des personnages -, Dragon Head nous montre, à la manière d’un The Walking Dead, mais en beaucoup plus radical, à quelle vitesse l’être humain faisant face à une situation paroxystique va régresser vers des comportements primitifs. Ce constat n’a certes rien de nouveau ; pourtant, l’efficacité avec laquelle Mochizuki nous embarque dans son récit, en nous appâtant avec une énigme (mais qu’a donc entrevu Teru juste avant que le train ne s’engouffre dans le tunnel ? Pourquoi à la radio, a-t-on entendu les mots « d’état d’urgence » ?), mais surtout en nous « collant » littéralement à ses personnages à l’aide de gros plans fréquents, ne cachant rien des blessures et surtout du désarroi et de la folie envahissant les survivants, est totalement originale.
On attend donc avec impatience le second tome, en espérant – sans trop y croire – qu’une éventuelle sortie du tunnel nous offrira un peu d’oxygène. Mais on a déjà très, très peur de la suite…
Eric Debarnot