Tout s’annonçait bien pour le retour de la fascinante Rosamund Pike dans un rôle de forte femme manipulatrice et sans scrupules… Le scénario de I Care a Lot s’avère malheureusement trop maladroit pour tenir les promesses de son point de départ.
Dans le rêve américain et le cauchemar sociétal qui en découle, tout peut – et doit – être une occasion de « réussir », de devenir riche. Et en premier lieu la misère des autres, puisque les êtres en position de faiblesse sont les moins susceptibles de vous faire obstacle, dans un pays où toute « révolution », au sens européen, donc socialiste (!) du terme, est impensable. I Care a Lot, le nouveau film de J Blakeson, jeune scénariste et réalisateur peu remarqué jusqu’à présent, a le mérite de mettre en lumière le profitable business du « care » du quatrième âge, qui semble – tout au moins tel que décrit ici – être en plein boom, entre maisons de retraite, soins et médicaments, etc.
Blakeson imagine (?) le parcours d’une femme sans scrupule et dévorée par la soif de réussite, qui, avec la complicité d’un juge pas trop regardant, se fait désigner comme responsable de la tutelle de personnes âgées pour, ni plus ni moins, les plumer ! Jusqu’au jour où sa route va croiser celle d’un adversaire inattendu, qui va mettre en danger non seulement tout son « système », mais sa vie elle-même. Avec au casting la fascinante Rosamund Pike – qui reprend quand même sans trop se fatiguer son rôle vénéneux de Gone Girl, avant de se métamorphoser de manière pas trop crédible en action woman – et le non moins fascinant Pete Dinklage – qui réussit à conjuguer froideur cérébrale et dérapages quasi burlesques, en dépit d’un personnage assez caricatural -, comment ne pas se laisser tenter par I Care a Lot ?
Et de fait, en deux heures qui passent plutôt bien, ce qui témoigne au moins d’une certaine efficacité de la mise en scène de Blakeson, on a affaire à nombre de situations « délicieusement déplaisantes » – comme s’en délecte la publicité du film (« deliciously nasty ») – et d’affrontements de plus en plus extrêmes entre deux de nos « méchants » préférés. Malheureusement, I Care a Lot souffre d’un défaut rédhibitoire, qui vient du principe même de départ du scénario ; un principe que Hitchcock, toujours lui, avait bien identifié en expliquant qu’on ne doit jamais montrer un personnage tuer d’emblée un enfant, parce que cela annulerait toute identification empathique avec lui, et empêcherait le film de fonctionner. De fait, à partir du moment où, dès l’introduction, I Care a Lot nous dévoile l’abjection totale des agissements de Marla, il nous sera difficile de ressentir quoi que ce soit pour elle lorsqu’elle est en danger…
Le salut du film aurait pu venir de la transcription de l’affrontement des deux protagonistes en « bataille d’intellects », ou au moins en combat juridique : le fait de faire basculer l’histoire vers un affrontement physique plus convenu, la violence prenant le relai de manière très américaine, montre clairement les limites d’un scénario qui promet beaucoup mais ne nous livre finalement pas grand-chose.
Le dernier clou dans le cercueil de I Care a Lot – qu’on n’arrivera néanmoins pas à détester vraiment, tant il a au moins le mérite de peindre le portrait d’une femme forte, non soumise aux diktats masculins – est planté par la scène finale, maladroite – et désagréable – tentative d’injecter un soupçon de « morale » à une histoire qui s’en passait bien jusque-là. Chassez le naturel, et il revient au galop !
Eric Debarnot