Gaël Remise et Fabien Tillon mettent des mots et des images sur la tragique histoire d’Antoine de Tounens qui, s’étant rêvé roi, parvint à entrainer des tribus dans son rêve insensé.
Si je vous racontais qu’Antoine de Tounens, petit avoué de Périgueux et fils du boucher du village de Tourtoirac, s’imagina roi de Patagonie et d’Auricanie, traversa l’Atlantique, se proclama roi, régna quelques semaines, puis fut capturé et expulsé, me croiriez-vous ? À trois reprises, Antoine tenta de recouvrir son trône. Ruiné et abandonné de tous, il mourut en exil.
Comme tant d’enfants de son temps, le jeune Antoine dévorait des atlas et cherchait une terre vierge ayant échappé à la voracité des Européens. Mais, il ne s’imaginait pas commerçant, explorateur ou missionnaire, il se voulait roi. Sa royauté serait atypique, il rassemblerait les Indiens afin de les protéger des brimades des blancs. Il tenta d’intéresser Napoléon III, mais ce dernier s’engagea au Mexique. Le rêve du notre empereur sera, au final, plus couteux en vies humaines.
Cette histoire est bien documentée par les historiens, Jean Raspail en a tiré un roman en 1981. Fabien Tillon développe l’aspect onirique. Pour aider nos esprits rationalistes à admettre la crédulité des Indiens, qui se rallient à Antoine, il croit indispensable d’ajouter un signe surnaturel. La frontière entre réalité et fiction s’estompe, Antoine a-t-il seulement rêvé cette royauté ? Ce soutien populaire ? Ces chevauchées dans la pampa et ces combats perdus ? Don Quichotte affrontait des moulins, Antoine harangue des manchots de Magellan… Avouons que sa plume est belle : « Le vent habitait ici souverainement, la pampa était son palais et sa cathédrale… Et je ne pouvais, moi, le roi d’Auricanie et de Patagonie, que me reconnaître comme son humble vassal. »
Le travail de Gaël Remise associe encre de chine et aquarelle. Son trait va à l’essentiel, ses visages et ses décors sont juste esquissés. Il joue avec le vent, la glace et les oiseaux, nous offrant de très belles pleines pages. Antoine s’ennuie en sépia, guerroie en rouge, règne en or et affronte l’hiver bleu. Son dessin s’épanouit dans les passages fantastiques. Le roi fou converse avec les animaux, commande aux manchots et soliloque gravement. Ses visages stylisés et ses attitudes raides rappellent le travail d’Hugo Pratt, tout particulièrement les échappées lunatiques des ultimes Corto Maltese. Le rapprochement est flatteur, mais ce Roi du vent le mérite.
Stéphane de Boysson
Roi du vent, un Gascon en Patagonie
Scénario : Fabien Tillon
Dessin : Gaël Remise
Éditeur : La Boîte à Bulles
117 pages – 22 €
Parution : 10 février 2021
Roi du vent, un Gascon en Patagonie – Extrait :