Pour son premier album de l’année, la formation la plus hyperactive du rock indé développe un nouveau concept fou : ne rien changer. Mais alors peut-on vraiment leur en vouloir si le pari est réussi ? Chronique d’une envie de stabilité pour un groupe qui n’a jamais su rester en place.
K.G., la suite…
En connaissant un peu Stu, Ambrose, Cook, Joey, Lucas et Michael, on se doutait bien que KG ne resterait pas esseulé bien longtemps. Le groupe de Melbourne a fait son identité du jeu des sorties de singles, d’albums studios, lives et des effets d’annonces en tout genre. La dernière fois qu’ils avaient joué aux « couillons » comme ça, c’était en publiant en 2019 un diptyque écologique invraisemblable, entre boogie bon enfant et gros métal qui tache. Avec leur communication cacophonique, on ne savait plus quelle chanson faisait la promotion de quel album, et comme toujours, le résultat final en live était étrange mais jouissif.
Alors, après ce qu’il convient d’appeler pour ce groupe hyperactif un long feud, quand un album porte les deux premières initiales de son nom, on ne nous la fait pas, il y aura suite ! D’autant plus que le morceau d’ouverture K.G.L.W ne laissait pas entendre le contraire… Et n’étant pas à une bizarrerie près, la bande à Stu finit donc leur nouvel opus, LW, par un morceau nommé exactement pareil, au point près. Seul vrai concept liant les deux moitiés, ces deux morceaux se répondent puisque la version 2021 est enrichie de 7 minutes et d’une orchestration bien plus pêchue.
Mais qu’on ne s’y trompe pas, en regardant de plus près les magnifiques artworks de Jason Galea, KG et LW ne sont que les volumes 2 et 3 d’une expérimentation autour du microtonal, un langage musical bien exotique pour notre monde artistique occidental, et qui fatalement évoque toujours des sonorités plus ancrées à l’est. Bien évidemment il n’y a pas que le fait de jouer ces intervalles de notes proscrits par notre notation européenne millénaire, il y a aussi un jeu, une savante alchimie des tonalités et des enchainements que, Stu Mackenzie en tête, le groupe maîtrise à la perfection. Allié à un rock psychédélique qui est le liant plus ou moins évident de toute une discographie, on est donc en présence d’une formule désormais bien connue puisqu’elle date de 4 ans.
… ou bien Flying Microtonal Banana volume 3 ?
Si rien ne le laisse paraître dans les noms ou les pochettes, Flying Microtonal Banana est bien le parent spirituel des deux derniers petits en date. Depuis 2017 donc, ce minuscule « vol 1 » dessiné avait un sens détourné, alors qu’on était en droit de penser qu’il s’agissait juste du premier des 5 albums annoncés sur l’année… et sûrement le meilleur d’une fournée pas toujours très créative…
Nous y voilà donc, un nouveau concept, cette fois-ci développé de manière diluée dans le temps et autour d’une consigne d’écriture musicale originale. Et pour autant que l’idée de base est synonyme de fraîcheur, l’étaler sur trois albums (pour l’instant) en revient aussi à assoir une certaine stabilité. Stabilité, King Gizzard, vraiment ?
L.W joue en terrain conquis. C’est un fait, on pourra débattre sur plein d’autres aspects techniques des 9 titres, mais sûrement pas sur sa capacité ou sa volonté de renouveler un groupe qui approche à grande vitesse de la vingtaine d’albums. Et chacune de leur sortie est l’occasion de juger de l’exercice de style, car à vouloir sortir autant de disques, le public peut légitimement demander du neuf, faute de quoi la lassitude n’attendra même pas le nombre des années. Mais King Gizzard & The Lizzard Wizzard n’excelle que dans le jusqu’au-boutisme. Des partis pris radicaux qui ne durent que le temps d’un album et qui transforme même un album « classique » en redécouverte rafraichissante. En sortant deux disques qui fonctionnent comme des miroirs, le groupe se risque alors à révéler la supercherie d’une musique toujours efficace mais qui ne marquera pas les mémoires.
Stu Mackenzie reste un excellent compositeur, capable de longues litanies aux frontières de l’impro ou de la jam, qui s’articulent autour d’un thème pour en proposer milles variations. Il en ressort un côté très live qui fait qu’en enchaînant les divers morceaux, on ne distingue plus les séparations. Même si seul l’ultime titre dépasse les 8 minutes, on serait bien en peine de faire ressortir beaucoup de chansons lors d’une écoute fleuve.
Supreme Ascendancy est bien l’unique morceau à tirer son épingle du jeu, en poussant le principe de la sonorité orientale à fond. La magnifique – et trop rare en lead – voix d’Ambrose se mêle à des simili sitars, une harpe typée asiatique, des flûtes orientales et tout un tas d’instruments qui nous invitent au voyage et à l’onirisme le plus total. On en regrette presque que ces gros clichés sonores n’imprègnent pas plus tout l’album, quitte à partir dans un trip mystique façon Sgt Pepper (et on sait avec leur nombreux clips que le groupe en est capable).
« Si ce n’est pas maintenant, alors ce sera quand ? »
Mais non L.W reste du pur King Gizz, avec la sempiternelle batterie au son si identifiable (même si elle n’est maintenant plus doublée depuis le départ d’Eric Moore mais c’est le genre de perte qui ne se ressent qu’en concert), les petits cris pleins de reverbs de Stu, les gros riffs comme sur K.G.L.W ou l’harmonica fou de If Not Now, Then When ?… Alors on s’ennuie un peu par moment, car le sentiment de déjà entendu est plus que fort et devient fatal sur les longues plages instrumentales (paradoxalement pas si longues que ça factuellement mais qui ont un sacré ressenti), et l’oreille en vient à guetter la moindre expérimentation, le petit changement au chant, un break surprise ou un instrument encore jamais entendu.
La cuvée 2021 du groupe de rock australien le plus productif de tous les temps est loin d’être mauvaise, et sortie de son contexte, elle ravira les nouveaux venus comme les fans de la première heure qui commençait à user les vinyles de Flying Banana ou K.G, mais, à l’annonce via newsletters de plusieurs sorties prévues pour l’année, on se demande alors si KG&LW ne pourrait pas simplement se contenter de nombreux singles, avec leur magnifiques clips (le groupe a clairement monté en gamme là-dessus depuis Infest the Rats’ Nest et abandonne de plus en plus le côté home-made. Car en alignant 17 sorties officielles en aussi peu de temps, n’importe quel groupe en vient forcement à cumuler autant de tubes incroyables que de déchets…
Et le temps ne laissera surement que peu de traces de L.W, un album de son époque (traitant encore de l’écologie, et dont les bénéfices iront directement à la reforestation). Mais comme le demande The Gizz : « Si ce n’est pas maintenant, alors ce sera quand ? »…
Kévin Mermin