Quelques semaines avant la parution du quatrième tome de Asadora !, la nouvelle œuvre d’Urasawa, il faut bien admettre que, jusque-là, nous avons eu du mal à accrocher à ce nouveau projet de l’un des grands maîtres du manga contemporain…
Le lancement de Asadora !, la dernière série-fleuve de Naoki Urasawa, avait suscité bien des espoirs en nous, amoureux-fous de Monster et de 20th Century Boys, et quand même, admettons-le avec du recul, un peu déçus par Pluto et Billy Bat : seul au scénario après ses collaborations avec Takashi Nagasaki, le maître nous promettait une sorte de retour aux origines de son œuvre – ses charmantes histoires de jeunes sportives, les jeux olympiques de Tokyo de 1964 comme contexte – avec une approche de roman-feuilleton fleuve.
Si l’on n’avait aucun doute sur le talent d’Urasawa et de son équipe très professionnelle à « mettre en scène » (car avec Urasawa et ses récits très « cinématographiques », c’est bien de cela qu’il s’agit…) et dessiner tout cela avec le même souci de perfection que ses précédents mangas, c’est comme toujours au niveau du scénario que nous étions encore dubitatifs. Après un premier volume que l’on pouvait qualifier de mise en bouche, le second confirmait le principe de la « saga » : le portrait d’une jeune fille orpheline suite à une catastrophe naturelle luttant avec cette créativité et ce positivisme féminin qu’Urasawa a toujours célébré, devenant pilote d’avion, de ceux qui l’entourent – et sans doute, même si cela semblait encore être un second fil narratif discret, d’un jeune garçon bien déterminé à arriver quant à lui à rejoindre l’équipe olympique japonaise d’athlétisme… -, le tout nourri par les apparitions d’un mystérieux monstre marin renvoyant directement au mythologique Godzilla…
L’un des problèmes qui apparaissait au second tome, et qui s’aggrave encore dans ce troisième volume, c’était celui de la suspension d’incrédulité qui n’avait jusque là jamais été un problème chez Urasawa : même lorsqu’elles partaient dans des délires les plus science-fictionnels, ses histoires nous embarquaient parce que ses personnages restaient en permanence crédibles, et donc empathiques, et que les situations les plus folles étaient enracinées dans une sorte de réalisme qui les rendaient curieusement vraisemblables. Or, dans Asadora !, cet équilibre magique entre concepts hyper-« wtf » et bouleversante trivialité des protagonistes ne fonctionne plus.
On avait déjà tiqué quant à la capacité de la toute petite Asa de passer totalement indemne émotionnellement à travers le désastre initial qui avait redéfini son existence, on avait un peu ricané – mauvais ça, le ricanement ! – quand elle avait appris à piloter et faire atterrir un avion en toute urgence, ou quand elle avait fait chanter un dangereux trafiquant de drogue. Dans ce troisième tome, on a bien du mal à avaler cette mission secrète confiée par le gouvernement japonais à un vieux pilote handicapé et à une jeune pilote sans brevet, justifiée (?) par la complète attention que doivent porter les militaires aux JO ! Et à partir du moment où on ne croit pas un instant à ce que Asadora ! nous raconte, comment pourrions-nous vibrer aux moindres mésaventures de ses protagonistes ?
Car le pire, ici, ce qui constitue la vraie déception de cette nouvelle œuvre d’Urasawa, c’est l’indifférence que nous ressentons face à ses personnages : alors que nous défendions bec et ongles le génie d’Urasawa face à ceux qui critiquaient ses scénarios jamais bien bouclés, en leur rétorquant que ce qui importait vraiment, c’était bien l’amour que nous ressentions pour ses héros, c’était les incroyables pics d’émotion qui apparaissaient, souvent de manière inattendue, au détour d’une page… nous sommes cette fois bien en mal d’affirmer la même chose !
Nous n’en sommes bien entendu qu’au tome 3, et Urasawa a bien le temps de se ressaisir puisqu’il s’agit après tout là d’une histoire qui fera très long feu. Mais le doute nous envahit…
Eric Debarnot