AAI (Anarchic Artificial Intelligence), le nouvel album de Mouse on Mars est un album de science fiction, une expérience transgenre impliquant des programmeurs, un écrivain-professeur titulaire de la chaire d’étude Africaine-Américaine à la Boston University, une DJ, un percussionniste. Et un objet conceptuel sur les rapports entre l’être humain et la machine. Mais aussi un assez bon album de techno.
The Mouse-on-Mars Institute of Techno-Music
On pourrait croire que la musique est avant tout de la musique. Qu’elle peut s’apprécier en tant que telle, exister par elle-même, en tant que performance ou œuvre purement artistique. Pourtant, difficile de parler de la musique de Mouse on Mars – le duo, Jan St. Werner et Andi Toma – sans faire un tour derrière le rideau. Et pour bien comprendre ce qu’on va y trouver, un petit rappel : le duo Berlinois a lancé son précédent album – Dimensional People – lors de la conférence Dissolve Music. Organisée par Ian Condry – professeur au Massachusetts Institute of Technology, Cambridge, USA – et Jan St. Werner – lui-même professeur de Dynamic Acoustic Research à l’École des Beaux-Arts de Nuremberg, Allemagne –, Dissolve Music faisait et fait toujours partie du Dissolve Inequality Project. Avec ce projet, qui en dit autant sur le système universitaire US que sur Mouse on Mars, l’objectif était de dissoudre les frontières entre musiciens et spectateurs, et aussi entre disciplines académiques et dissoudre les frontières du monde académique lui-même. La musique n’est plus seulement de la musique. Elle se dissout dans une réflexion sur l’injustice, la violence et l’inégalité. Elle se met au service d’une cause sociale. Elle devient un art sociétal.
AAI un manifeste conceptuel transgenre
AAI a précisément été pensé de la même perspective. Il est le produit d’une expérience transgenre, une expérience qui transcende les frontières. Des programmeurs – Ranny Keddo and Derrek Kindle – et des consultants en intelligence artificielle – Birds on Mars – ont développé un programme qui a été alimenté par un texte écrit par l’écrivain et professeur d’Anglais, Louis Chude-Sokei, lu par lui-même et la DJ/productrice Yağmur Uçkunkaya. Le tout a été manipulé, transformé par Werner et Toma et enrichi par l’apport du percussionniste Dodo Nkishi. Cela donne un manifeste sur les apports de la technologie, de l’intelligence artificielle, sur les rapports entre l’homme et la machine, sur ce que la machine et l’homme peuvent faire ensemble. Le message apparaît dans le titre de certains morceaux – New Life Always Announces Itself Through Sound, Artificial Authentic, Machine Perspective ou encore Machine Rights. Ou, comme le dit, Louis Chude-Sokei sur Speech and Ambulation, nous avions des préjugés sur ce qu’est le désir et ce que sont les machines, sur l’incapacité à désirer, sur leur réduction au calcul. Ces préjugés nourrissent notre peur des machines – The Fear of Machines –, une croyance dans l’idée que l’artificiel est inférieur qui conduit à une forme de ségrégation à leur égard.
Et la musique dans tout ça ?
Oui… évidemment… Jan St. Werner et Andi Toma ne sont certainement pas les seuls artistes à envisager l’Art de cette manière. Mais peut-être qu’ils vont loin – plus loin que d’autres ? – dans l’intellectualisation et la sociétalisation de leur démarche artistique. Non seulement parce qu’ils le revendiquent mais parce qu’ils présentent leur l’album en mettant les innovations technologiques et les questionnements philosophiques en avant au détriment de la dimension musicale proprement dite à laquelle ils consacrent une toute petite phrase. A se demander s’ils veulent en parler…
On serait presque tenté de les prendre à leur jeu. Presque. Et de ne pas évoquer la grâce qui se dégage des 20 morceaux – de 22 secondes à 7 minutes – qui composent l’album. Le son est presque aussi rond mais les morceaux ne sont pas aussi pop que ce qu’ils étaient dans les premiers albums – même si The Latent Space, ou Seven Months ne sont pas sans rappeler Iahora Tahiti ou Autoditacker, ou si Artificial Authentic a presque un côté dance et harmonique. The Latent Space – le second morceaux de l’album – est classique et assez peu représentatif de l’album … pas de voix, par exemple, alors qu’elles hantent la plupart des morceaux en répétant inlassablement des sortes de mantras sur des percussions omniprésentes qui hachent les morceaux – Doublekeyrock ou Go Tick, et Cut that Fishernet. Hypnotique et entêtant. Ici, on a l’impression que la musique prend le pas sur le message. Parfois les morceaux ralentissent, la musique se fait plus discrète, est à l’arrière-plan pour laisser passer la voix devant pour nous délivrer un message – Speech and Ambulation. Parfois, les morceaux consistent en des textes lus sur un fond musical discret et le message repasse devant – The Fear Of Machines, Tools Use Tools, Borrow Sings ou le bien nommé New Life Always Announces Itself Through Sound qui conclut l’album.
Nous voilà prévenus.