Retour des Melvins millésime 1983 avec Working with God qui reprend les bases éternelles du punk-metal du groupe, avec une grosse dose d’humour embarrassant en plus. Un pur plaisir rock’n’roll.
Il est difficile de ne pas rire en entamant Working with God, le nouvel album des Melvins (leur vingt-quatrième depuis 1983 !) par I Fuck Around, reprise « scorsesienne » (on bat le record d’utilisation du mot « Fuck » dans une chanson, comme Scorsese le battait régulièrement au cinéma…) du I Get Around des Beach Boys : l’humour est irrésistible, mais on est aussi en droit de se demander si ce genre de blague potache sera toujours aussi drôle à la troisième écoute, sans parler de la dixième, la vingtième, etc.
Il faut néanmoins admettre que c’est là le principe de ce nouvel opus, après un break de 3 ans, avec le line-up de la formation originale du groupe : il s’agit d’une sorte de retour déluré aux « sources » adolescentes du groupe, y compris avec un humour pas trop fin. D’ailleurs, dans le même ordre d’idée, Boucing Rick est une chanson-hommage à un prof de chimie de leur jeunesse, ce qui est quand même salement régressif.
Mais bon, tous ceux qui connaissent les Melvins, inspiration majeure du jeune Kurt Cobain (Buzz Osborne lui a même enseigné la guitare !), savent que le mot d’ordre sur leur musique est de combiner un alignement obsessif de riffs monstrueusement lourds avec des mélodies accrocheuses (comme chez Nirvana, donc…), avec un effet « feel good » irrépressible pour quiconque aime le headbanging frénétique, ou au moins bien appuyé. Et sans les excès de sérieux un peu ridicules (quand on ne fait pas partie de la horde des métalleux…) du heavy metal. Disons que Melvins, c’est Black Sabbath rencontre Dead Kennedys, avec une bonne louche de dérision par là-dessus, et que, nous, ça nous va bien comme ça.
On aura évidemment du mal à remplir des pages d’exégèse sur Working With God (même si l’humour du titre est assez ravageur quand on connaît la position politique des Melvins vis-à-vis d’une Amérique de plus en plus croyante et droitière), alors on se contentera pour une fois de faire d’abord la liste les blagounettes plus ou moins innocentes (?) qui parsèment l’album : 1 Brian, The Hose-Faced Goon aurait pu illustrer un film des Monty Python ; la reprise sous le titre I Fuck You du fameux You’re Breaking My Heart de Harry Nilsson ne survit pas au traumatisme inhérent (« You’re kicking my ass / You’re breaking my glass / So Fuck You ! » – « Tu me donnes des coups de pied au coup / Tu brises mes verres / Alors va te faire foutre ! », le genre…) ; Goodnight Sweet Heart est la plaisanterie ultime, qui commence par une incantation inversée tirée de l’Exorciste, et finit en berceuse-foutage de gueule (On jurerait qu’ils chantent : « To-to-ro, To-to-ro » ! Si, si…). C’est là qu’on réalise que cet humour a aussi très probablement pour but d’être… embarrassant, voire inconfortable.
… Il faut ensuite d’insister sur le fait qu’il y a ici une poignée de chansons excellentes, que l’ami Ty Segall est sans doute jaloux de ne pas avoir composées : Caddy Daddy est un vrai morceau hard rock millésimé 70’s comme cela fait quarante ans qu’Ozborne et Crover en composent, sans faiblir, mais elle challenge le sens de supériorité morale de tous les bien-pensants qui nous entourent. Boy Mike est une petite merveille qui fait se rencontrer le heavy metal speedé éternel avec les intuitions psychédéliques des Oh Sees, et, oh my god, c’est une tuerie absolue ! The Great Good Place est un morceau presque – mais pas tout-à-fait – sérieux puisqu’il nous recommande de faire juste un peu gaffe dans nos déjantes pour ne pas nous mettre en danger (« I wouldn’t touch that if I were you » – « je ne toucherais pas à ça si j’étais toi »). Finalement, il n’y a guère que le trop plat et trop lourd Hot Fish qui ne génère pas le même plaisir au premier degré que le reste de l’album, mais on survivra à ces 5 minutes un peu longuettes.
Il y a fort à parier que les Melvins ne gagneront pas de nouveaux fans avec cet album – ou alors de jeunes innocents qui ne les ont pas encore écoutés, et pensent encore que le grunge a été inventé par Nirvana, Alice in Chains ou Soundgarden -, mais ils n’en perdront certainement aucun. Car si Working With God est plus régressif que visionnaire, il reste l’un des albums les plus malins et les plus excitants de ce premier trimestre 2021.
Eric Debarnot