« Earworm » : bienvenue dans le monde post apoplectique de Paradoxant

Le paradoxe est le nom d’un monstre, et l’ex-BRNS entend bien le démontrer avec Earworm, premier album du groupe rock Paradoxant, qui tentera de s’infiltrer dans vos conduits auditifs pour vous contrôler de l’intérieur.

Paradoxant
Paradoxant © Lucie-Martin

« On a profité de l’ère rock indé post 2007 » c’est en ces mots qu’Antoine Meersseman faisait un état des lieux en 2018 lors d’une interview pour Le Soir. A l’époque, il parle au nom du groupe BRNS et tire franchement la tronche au vue du changement de la mappemonde musicale en quelques années. Alors que la scène indé leur ouvre les bras en 2012 à la sortie de l’excellent Wounded, 6 ans après il n’en est plus rien. Le rock est redevenu un genre mineur et très polarisé avec ses têtes d’affiches qui remplissent les stades et une scène alternative un peu fauchée qui fait la tournée des bars et des SMAC. Nous voilà donc maintenant en 2021, et si le constat est toujours aussi amère, vient s’ajouter à cela une pandémie qui a détruit toute les cartes, à défaut de les redistribuer.

ARADOXANT-EARWORMÉvolution logique dans le parcours artistique du bruxellois, Paradoxant arrive au bout d’une discographie des mangeurs de cerveaux (BRaiNS) qui a su avec le temps s’affiner, se feutrer et se parer de noir. Les relents pop de Wounded sont loin, les lives moins foutraques (un seul conseil, chercher Our Lights Live sur YouTube et vous serez en sueur à la fin) et les mélodies plus sinueuses. On en arrive aussi à entendre la voix d’Antoine plus distinctement que dans les cris des premiers jours comme par exemple sur Encounter et on se doute que l’une des têtes pensantes de cette formation si excitante à chaque nouvelle sortie doit bien avoir des compositions qu’il garde dans un tiroir.

Profitant de l’accalmie qui règne au sein de sa formation initiale, le multi instrumentaliste ressort donc des années de création sur le bureau, se retrousse les manches et monte un nouveau concept. Bien évidemment, le Covid n’est pas une bénédiction et l’album se voit repoussé, les dates presque toutes annulées et donc forcément la petite machine médiatique un peu rouillée.

Et c’est bien dommage car Earworm n’a rien a envier aux autres projets d’Antoine Meersseman.

Invariablement, indéniablement, on y retrouve la patte de BRNS. Une déconstruction du rythme, comme une sorte de léthargie ambiante, une stase dans laquelle chaque instrument semble à bout, comme des airs de fin du monde, un disque donc très à propos.

Forcément, ici, une batterie moins folle que celle de Timothée Philippe, mais tout en sobriété et en justesse. Elle est l’œuvre (du moins pour l’enregistrement) de Romain Bernard aperçu dans Ropoporose et le super-groupe Namdose, théâtre de la rencontre entre les deux hommes. De cette parenthèse math-pop éphémère il resterait bien Dead Beat, single phare de l’album dont il est question ici, même si sous ses airs faussement enjoués se cache déjà toute la noirceur et la bizarrerie qui va composer les 9 morceaux. Et que des titres comme Ha Ha Ha Ha ne nous trompe pas, le trio (puisqu’ils sont aussi accompagnés par Antoine Pasqualini (Monolith Noir, qui avait notamment remixé Last Gaze) rit jaune. Les chants sonnent comme des complaintes sans fin et Antoine Meersseman va même jusqu’à pousser sa voix dans ses derniers retranchements et crier à la mort comme par exemple sur la fin de Modern Lie. Et les fins de morceau, c’est bien ce qui fait tout le sel de ce premier album, chaque chanson finissant alors dans un maelstrom désespéré ne laissant ensuite que résonner les synthés (Unheimliche), un ultime cri (Sometimes) ou le crépitement d’un vinyle (Asylum).

N’allez pas croire pour autant que tout est formaté sur cette première mouture d’une formation assez expérimentale. Les voix, les instrumentations et mêmes les structures parviennent toujours à surprendre et lors de l’ultime conclusion, Summer Glow, le climax arrive en milieu de parcours pour ensuite s’achever sur une guitare désabusée. Il y a quelque chose de très nihiliste chez Paradoxant, un sentiment post apo permanent qui fait table rase du passé aussi bien que d’un providentiel futur. Le moment présent se vit intensément mais aussi bien dans une fatigue généralisée. L’écoute peut alors être très perturbante, voire malaisante, et c’est tant mieux car, comme dans la série Braindead, Earworm entend bien s’infiltrer dans vos conduits auditifs pour vous contrôler de l’intérieur. La mission semble réussie et comme des zombies on attend plus alors que de voir le trio défendre ce projet peu conventionnel sur scène, avec on l’espère autant d’énergie que quand le rock n’était pas mort.

Antoine Meersseman lui en tout cas, est plus vivant que jamais.

Kevin Mermin

Paradoxant – Earworm
Label Humpty Dumpty records
Date de sortie  : 5 mars 2021