Peut-être l’un des plus beaux enregistrements exhumés par Neil Young de ses archives, avec le Live at Massey Hall, mais sur son versant très, très électrique cette fois, Way Down in the Rust Bucket est encore un témoignage de la grandeur de la musique jouée avec Crazy Horse dans les années 90.
Quand on repense aux publications de nouveaux enregistrements de Neil Young en 2020, et qu’on considère le programme bien fourni annoncé pour 2021, on ne peut que craindre un effet de ras l’bol, même de la part de fans relativement fidèles au Loner. D’ailleurs, la première réaction quand on mentionne la sortie de ce Way Down in the Rust Bucket est une question éberluée : « Encore un Neil Young ? ». Mais il fait bien dire que cette fois-ci, on peut répondre en toute franchise : « Oui, mais cette fois, c’est vraiment le haut du panier »… Et non pas le fond du seau plein de rouille, comme le titre ironique le suggère…
Car en 1990, Neil Young et son Crazy Horse sortent l’un de leurs albums électriques les plus mémorables, le puissant (et rugueux) Ragged Glory, qui va établir pour un moment la crédibilité de Neil comme « parrain du grunge » : Neil vient de perfectionner encore son incroyable son de guitare, il a repris le contrôle et de sa vie personnelle et de sa carrière personnelle après l’un de ces cycles de « flottement » qui le caractérisent, et le trio de Crazy Horse est en pleine maturité. Avant de prendre la route, la fine équipe va s’échauffer dans une petite salle afin d’être bien rôdée pour livrer un set électrique grandiose dans la foulée de l’album. Et bien sûr, Neil, archiviste obsessionnel, a gardé les enregistrements de ces « répétitions live » qu’l nous ressort aujourd’hui. Et, sans que ce soit une surprise totale vu le contexte, on tient peut-être là l’un des tous meilleurs enregistrements live électriques du gang ! (Et oui, meilleur encore que l’enregistrement officiel de la tournée, le très beau Weld…)
Neil et son groupe sont là au sommet de leur Art – si particulier, car tellement simpliste et pourtant tellement inimitable -, l’enthousiasme est là, et le son est absolument impeccable. Et surtout la setlist s’approche d’une sorte d’idéal « sonique » jamais atteint jusqu’à présent dans les live du Crazy Horse… Qu’on en juge plutôt : huit titres, pas un de moins, du furieux Ragged Glory, avec les deux monuments épiques que sont Love to Burn et Love and Only Love, et des versions de Farmer John et de Mansion on the Hill qui enterrent les doigts dans le nez celles de l’album ; trois morceaux parfaits de Zuma, dont un rare – et absolument superbe de tension – Danger Bird ; deux chansons énervées et si peu entendues encore extraites du méconnu Re-ac-tor (Surfer Joe et le redoutable T-Bone, qui avait fait grincer bien des dents en 1981 avec ses paroles « minimalistes ») ; plus une généreuse poignée de morceaux classiques (Cinnamon Girl et Like a Hurricane, of course…) ou beaucoup moins joués (Bite the Bullet, Homegrown…).
https://youtu.be/F8-AbMGbZ2c
Au total 19 chansons impeccables, et près de deux heures et demie sans une seule minute à jeter ! Les râleurs regretteront peut-être l’absence de Hey Hey, My My, de Tonight’s the Night ou de Powderfinger, qui figurent de toute manière sur Weld… Mais ce serait faire preuve d’une vraie mauvaise foi par rapport à l’opulence de ce festin. Et ce d’autant que, moins emporté par la démesure des grandes salles et l’hystérie des foules, Neil Young & Crazy Horse jouent ici plus compact, plus serré, sans que Neil se laisse aller à ces excès de feedback qui caractérisait ses lives de l’époque : c’est peut-être moins spectaculaire, mais quelle efficacité ! Et quelle beauté encore dans ces éternels entrelacs de guitare saturée qui s’envolent sur la trame rythmique compacte et têtue de Talbot et Molina !
Bon, assez argumenté ! Il est temps pour tout le monde de laisser parler la poudre. Et de réaliser une fois de plus l’importance de cette musique… qui nous comblera en attendant la prochaine sortie de Neil. Acoustique cette fois. On en reparle…
Eric Debarnot