On pouvait espérer beaucoup plus de Losing Alice, mini-série israélienne à la fois érotique et d’obédience lynchienne, dont les huit épisodes combinent de très beaux moments et une sorte de banalité due au manque d’audace d’un scénario qui ne va pas au bout de ses idées.
On connait depuis toujours l’infinie médiocrité des thrillers « érotiques » au cinéma qui, dans la ligne de l’à peine regardable 9 semaines ½, avaient essaimé dans les années 80-90, pour disparaître et ressurgir avec l’inénarrable saga des 50 Shades of Grey, et le souvenir de toutes ces déroutes ne nous pousse guère à accorder notre temps à Losing Alice, qui semble s’inscrire tout droit dans ce genre involontairement toxique. Qu’est-ce qui fait qu’on déciderait de quand même se laisser séduire ? Le contexte israélien, sachant qu’un zeste de dépaysement ne fait jamais mal quand il s’agit de revigorer des sujets fatigués ? La beauté des actrices – Ayelet Zurer et Lihi Kornowski, toutes deux fascinantes, mais également passionnantes ? Une rare élégance de la mise en scène et une vraie beauté des images, qui construisent un écran de luxe à une fiction en elle-même pas renversante ? La promesse du synopsis d’un pacte « faustien », qui injecterait une certaine profondeur au trouble trop classique de la séduction – et qui s’avère un leurre, d’ailleurs ?
Toujours est-il que le premier épisode de Losing Alice fonctionne assez impeccablement : il y a une mise en abyme à l’étrangeté qu’on osera qualifier de lynchienne (la référence ici semblant le Lost Highway du maître…), et il y a aussi une indéniable justesse « psychologique » dans ces personnages égotistes dont les rapports sont gangrénés par leurs ambitions professionnelles : car Losing Alice se passe dans le milieu du cinéma, le couple central de la série étant un couple réalisatrice – acteur, tourmenté par les habituels déchirements de la création, du succès, de la reconnaissance… ou de leur absence, et approché par une troublante jeune femme autrice d’un scénario de film sulfureux et apparemment irrésistible.
Dès le second épisode, les écueils attendus dans ce genre de « produit » commencent à effleurer : des scènes souvent trop longues et vides où l’on s’ennuie un peu, des scènes érotiques (très light, quand même, il ne faudrait pas choquer le téléspectateur, seulement l’émoustiller…) tellement anodines qu’on se demande qui cela pourrait encore contenter à notre époque, et bien entendu ce fichu contexte social « aisé », voire riche, sans lequel il semble qu’il ne saurait avoir de désir. L’argent et le sexe sont au menu, sans surprise, on attend maintenant la mort… Qui surviendra, sans surprise à la fin de huit épisodes qui conjugueront de manière irrégulière un vague ennui chic avec quelques moments plus intenses, où le mystère de la personnalité et du passé de la très sexy (et souvent peu vêtue) Sophie arrive à nous intriguer.
Losing Alice ne manque pas de qualités, ne serait-ce que le travail de mise en scène de Sigal Avin, qui a aussi entièrement écrit le scénario de tous les épisodes, et déploie donc un véritable projet artistique, soit quelque chose de pas si commun que ça dans la série TV. La réflexion sur la contamination du travail artistique au cinéma par la « vraie vie », si elle n’a rien d’original, n’est pas dénuée de fondement quand on repense à tous les exemples bien connus de « dérapages » de la relation amoureuse et sexuelle entre acteurs et réalisateurs, mais c’est sans doute la justesse de la description du cas de perversion narcissique féminin incarné par Sophie qui attirera le plus notre attention. Il est seulement dommage que la mini-série ne se départisse jamais d’une certaine tiédeur, voire d’un aspect pusillanime. Et ce ne sont pas la scène « hot » durant le tournage du film, ou quelques moments plus gore vers la fin qui corrigeront cette impression.
Avec plus d’audace, plus de détermination aussi dans le récit de ces relations toxiques, Losing Alice aurait même pu être une mini-série vraiment passionnante.
Eric Debarnot