Kevin Macdonnald réduit la terrible histoire de Mohamedou Ould Slahi à une énième enquête judiciaire certes passionnante, mais qui manque de pas mal de singularité. Tahar Rahim en revanche livre une prestation remarquable tout en détresse et en humanité.
Début 2008, sortait dans une indifférence quasi générale Détention secrète de Gavin Hood. Certes, le film n’est pas une franche réussite (pour rester poli), mais l’histoire de ce scientifique américain d’origine égyptienne, suspecté d’être un terroriste, enlevé, emprisonné et torturé, avait au moins le mérite de dénoncer, sous administration Clinton puis Bush, la pratique des transferts de prisonniers d’un pays à un autre hors de tout cadre judiciaire, et hors des États-Unis évidemment puisqu’ils autorisaient la torture, parfois jusqu’à la mort, sur ces prisonniers qu’ils interdisaient pourtant sur leur territoire (comme ce fut le cas, entre autres, à Bagram ou Abou Ghraib). Désigné coupable raconte à peu près la même chose, inspiré lui du récit de Mohamedou Ould Slahi qui passa quatorze ans à Guantánamo, interrogé et torturé parce que soupçonné d’avoir participé à l’organisation des attentats du 11 septembre.
Sous l’impulsion de son avocate, Nancy Hollander, il tirera de cette expérience un livre, Les carnets de Guantánamo, qui sert aujourd’hui de base au nouveau film de Kevin Macdonnald. Celui-ci ne s’est jamais vraiment distingué, sauf peut-être avec Le dernier roi d’Écosse, en tant que réalisateur qui compte et il le prouve une fois de plus ici en ne livrant qu’une énième enquête judiciaire estampillée « histoire vraie » qui, si elle manque de pas mal de singularité et de prises de risque, ne fait pas l’impasse sur les habituels gimmicks du genre : les avocats hyper pugnaces, les prises de conscience, la tonne de dossiers à traiter à la vitesse de la lumière, les bâtons dans les roues, les flashbacks heureux et vaporeux, le laïus final un rien larmoyant et les inévitables images des réels protagonistes en conclusion, tout sourire et tout bonheur.
Ça reste néanmoins passionnant dans ce que ça dit, au-delà du calvaire de Slahi, d’un système répressif opaque qui a su émerger et se pérenniser (Guantánamo est toujours ouvert) au cœur même d’une démocratie, et idéologique aussi quand, et alors que la psychose et le trauma post-11 septembre battaient leur plein, Hollander et Stuart Couch, procureur militaire engagé dans la demande de peine de mort contre Slahi, furent brocardés et traités de « traître ». Pourquoi ? Parce que défendant un (supposé) terroriste ou refusant in fine de participer à une accusation reposant uniquement sur la violation du droit militaire américain.
Macdonnald a en revanche visé dans le mille en proposant le rôle de Slahi à Tahar Rahim qui, on le sait, s’est impliqué à fond dans son interprétation en allant jusqu’à faire (un peu) l’expérience de certaines « pratiques » d’interrogatoire pour davantage d’authenticité. On pourra trouver le procédé opportun ou pas mais, dans tous les cas, Rahim livre une prestation remarquable tout en détresse, en rage et en humanité. Une humanité qui a permis à Slahi de transformer sa colère en pardon, et son pardon en une façon de libérer son esprit, de trouver la paix remontée du trou noir dans lequel, pendant de longues années, on l’a plongé au nom d’une soi-disant justice.
Michaël Pigé