Dans cette BD muette et singulière, l’œil aime à se perdre dans des paysages alpins bucoliques où se joue une guerre permanente, plus cocasse qu’effrayante. Un drôle de récit héroïco-fantaisiste avec son lot de monstres…
De Stanislas Moussé, l’auteur de ce pur OVNI graphique, on sait peu de choses, si ce n’est qu’il est né à Nantes il y a une trentaine d’années, qu’il a fait des études d’histoire et qu’il partage désormais son temps entre la création de bandes dessinées et le gardiennage de troupeaux dans les Alpes. Tout cela suffit en grande partie à expliquer le cadre et la thématique de Longue vie et du Fils du roi, deux volumes indissociables l’un de l’autre par leur continuité narrative.
Le choix formel d’une case par page apparenterait plutôt l’ouvrage à un « beau livre de bande dessinée », car pour l’éditeur Le Tripode, qui n’est pas vraiment spécialisé dans le neuvième art mais est davantage axé sur les romans, le but est de surprendre en s’appuyant sur trois piliers : « les littératures, les arts, les ovnis ». Preuve s’il en fallait encore que la bande dessinée ne se cantonne plus au modèle franco-belge traditionnel mais continue à élargir son champ d’expression, qui semble infini.
Pour ce qui est de surprendre, on peut affirmer que le but est atteint, et c’est aussi ce que l’on aime en découvrant de nouveaux auteurs. Dans cet ouvrage totalement muet et lunaire, on va voir évoluer des petits bonhommes tout ronds dans un univers de fantasy médiévale ultra-poétique. Et des petits bonhommes, il y en a partout, souvent regroupés en armées combattantes, car c’est la constante du récit où il est question de conquêtes et de batailles, de victoires et de défaites. Les épées tranchent dans le lard et le sang gicle en pagaille, mais le trait rond à la Mordillo éloigne toute l’horreur que pourrait susciter une description réaliste de ces guerres.
L’histoire, quant à elle, est irracontable, d’autant qu’il est souvent assez difficile d’identifier les personnages principaux, qui se reconnaissent plus à leur blason qu’à leur frimousses minimalistes, et dont aucun n’apparaît jamais en plan rapproché. Ce qui est dommage car la fluidité du récit en souffre quelque peu, et surtout cela peut produire une certaine lassitude. A moins peut-être d’être particulièrement observateur, et ceux qui ont passé des heures de leur tendre enfance à s’user les yeux sur Où est Charlie y trouveront leur compte à coup sûr. L’humour est bien présent même si on sourit plus qu’on ne rit, on est parfois interloqué devant la prouesse graphique, car il faut bien le dire, Longue Vie et Le Fils du roi tiennent plus de l’exercice de style que d’une réelle volonté narrative. Difficile de ne pas s’extasier devant ces motifs répétés à l’infini à travers les pages, des motifs d’arbres, de buissons, de rochers, de plantes, créant un environnement bucolique très original dont on n’est pas vraiment sûr de vouloir en faire partie, étant donné la menace constante de guerriers en embuscade, si avenant soit le paysage, car c’est bien connu, le barbare adore se vautrer dans les champs de marguerites.
Le roman chevaleresque est ainsi mis au goût du jour, avec quelques tranches de romance où la femme apparaît plus dominatrice que l’homme, où l’on ne voit pas la queue d’un dragon mais plutôt d’horrrrrrribles monstres qui tiennent plus de la larve géante venue d’outre-espace. Perché dans ses montagnes, Stanislas Moussé reste aussi perché sur sa planche à dessin. A défaut d’apprécier pleinement, une curiosité unique en son genre à découvrir.
Laurent Proudhon