« Freud et l’hystérie » : l’homme qui écoutait les femmes

A l’heure du succès de la série En thérapie, une BD nous rappelle que la psychanalyse a toujours été en prise avec son temps. Si les femmes ont inventé la psychanalyse, et bien avant metoo, Freud a été celui qui alla au-delà des pratiques et écouta leur parole comme vérité.

FREUD ET L'HYSTERIE — Richard APPIGNANESI & Oscar ZARATE
© 2016 L’An 2 Acte Sud

Le récit démarre par un rêve éveillé, dans lequel Freud revoit les images de ses débuts, conversant avec son Moi plus jeune. Les rêves étant tout compte fait des images et l’expression d’un désir hors du temps, ce point de départ assemble fond et forme de façon juste et plonge d’emblée dans un récit antéchronologique, à l’instar d’une séance d’analyse.

FREUD ET L'HYSTERIE — Richard APPIGNANESI & Oscar ZARATETrès rapidement nous assistons aux souvenirs d’antisémitisme du jeune Sigmund dont le plus marquant concerne son père : une humiliation publique subie par celui-ci de la part d’un chrétien à l’égard d’un juif dont il envoie le bonnet neuf dans la boue. Et l’aveu d’impuissance de son père face à cette haine de l’autre. Cet épisode teinté de l’antisémitisme de l’époque illustre ainsi un épisode fondateur pour le père de la psychanalyse Le jeune Sigmund déçu de cet aveu d’impuissance s’engagera à réparer cet affront. Et voici comment un souvenir de Freud forme un élément moteur dans ce qu’il va engager sa vie durant et son désir de soigner. Aller explorer les forces obscures assujettissant les humains et les élucider.

Les femmes inventent la psychanalyse

La conversation intérieure permettant un voyage entre le Freud de 1938 et le jeune Freud découvrant l’hystérie apporte une lisibilité des questionnements du fondateur de la psychanalyse. Arrivant à la conclusion de l’origine sexuelle de l’hystérie, un aspect qu’il n’était pas si aisé d’évoquer dans la Vienne bourgeoise et corsetée de la fin XIXe siècle, nous suivons Freud commençant à écouter ses patientes. Le récit et les dessins nous placent dans une mise en perspective judicieuse qui nous permet de suivre le fil des réflexions des praticiens de l’époque sur le sujet. Le graphisme expressif montre les symptômes impressionnants propres à l’hystérie d’alors auxquels les dessins donnent corps. Les images deviennent ainsi parlantes et illustrent sous les yeux du lecteur la folie hystérique, échappant aux théories médicales de l’époque, une folie signant aussi un manque profond d’écoute dont l’hystérie forme un symptôme en réponse, attendant d’être entendu.

Nous suivons pas à pas Freud écouter, tâtonner, errer, chercher, et trouver dans les traumatismes successifs de ces femmes le signe d’un point fondamental: la nécessité d’écouter ces femmes malmenées, abusées, ravalées à une place assujettie, et les effets sur la psyché. L’image là encore nous permet d’explorer les souvenirs des patientes, Freud les y accompagnant, suivant avec elles le fil de leurs souvenirs, et tentant d’éclairer les voies restées cachées y compris à elles-mêmes.

FREUD ET L'HYSTERIE — Richard APPIGNANESI & Oscar ZARATE
© 2016 L’An 2 Acte Sud

Voyage au pays de la parole

« Nous avons découvert une terre nouvelle, la psychanalyse ! », c’est une déclaration tonitruante de Freud dans ce récit qui en relate de façon fort documentée les enjeux. Finis les traitements inhumains imposés aux patientes, Freud tient enfin sa découverte : l’inconscient, et ce qui en découle pour ses patientes, minorités d’alors. Les auteurs montrent comment la frontière entre médecin et patient ne se pose plus entre celui qui sait et celui souffre mais sur une révolution de l’écoute qui se dessine alors au fil des pages savamment orchestrées. Là où le médecin regardait, scrutait, le psychanalyste écoute et fait entendre.

L’épilogue du récit voit Sigmund Freud croiser dans un rêve éveillé de multiples figures connues ou anonymes contemporaines s’interroger sur leur mal-être de l’époque. Si les mots ont changé et utilisent d’autres dénominations, dépression, anorexie, problème d’image de soi ou d’autres encore, ce rêve éveillé révèle à Freud que la médecine moderne se résume trop souvent à une réponse chimique pour taire les maux. C’est alors un Sigmund Freud non résigné, ayant découvert l’importance de l’écoute auprès de ses patientes, qui répond à son épouse lui demandant ce qu’il fait dehors : « Je regardais l’avenir. Et il a besoin de moi« .

Et c’est toute la richesse de cette BD de montrer un Freud imparfait écoutant au présent les traumatismes passés pour tenter d’éclairer le futur. Le présent paraît lui donner raison sur la nécessité d’écouter ce qui du malaise de chacun se dit dans les symptômes de l’époque. Cette BD inventive et vivante comme la psychanalyse sonne comme un réveil nécessaire à l’heure où questionnements sur l’intime et la société se réactualisent de façon cruciale.

Anthony Huard

Freud et l’hystérie
Scénario : Richard Appignanesi
Dessins : Oscar Zarate
Éditeur : L’An 2 Acte Sud
168 pages – 19,50 €
Parution : 16 août 2016

Freud et l’hystérie – Extrait :

FREUD ET L'HYSTERIE — Richard APPIGNANESI & Oscar ZARATE
© 2016 L’An 2 Acte Sud