A partir de prémisses intéressantes, Julien Leclerq nous livre finalement avec Sentinelle un film de vengeance très peu convaincant, moralement nauséabond et qui plus est très mal écrit.
Sentinelle commence très bien, loin de la France, loin de « l’opération Sentinelle » qui a jeté dans les rues françaises des centaines (des milliers sans doute…) de militaires armés jusqu’aux dents et plus au moins désœuvrés, en réaction aux attaques terroristes de 2015 : on est au Moyen-Orient, et Klara, sur le terrain, est confrontée à une réalité atroce qui va profondément la traumatiser. Rentrée chez elle, intégrée dans les patrouilles « sentinelles » sur le littoral de la Côte d’Azur, littéralement défoncée aux médicaments prescrits pour la stabiliser, elle va basculer…
… mais dans quoi ? Les premiers trois quarts d’heure du film, soulignant la perte du sentiment de réalité de Klara, sa paranoïa incontrôlable, laissent présager un basculement dans l’irrationnel, au sein d’un monde auquel la jeune femme ne se relationne plus. Soit un beau sujet. L’élément déclencheur est là, c’est l’agression ignoble dont est victime sa jeune sœur. Mais c’est aussi là que le film bascule, et change totalement de cap : à la manière d’un vieux Justicier dans la Ville de sinistre mémoire, en ligne avec l’idéologie nauséabonde d’un Mel Gibson dans ses heures les plus sombres, notre héroïne se transforme en vigilante à peu près invincible, déterminée à suppléer au travail mal fait par la police, et à régler leur compte à ces méchants Russes (bien sûr !) qui se croient tout permis. C’est bien entendu à un film qui a perdu tout intérêt, mais aussi toute crédibilité, que nous avons maintenant à faire : heureusement, en une heure vingt, tout est bouclé, de manière aussi ridicule que prévisible.
Le scénario écrit par Julien Leclercq semble plein de trous, et le téléspectateur se demandera continuellement comment la protagoniste réussit à entrer et sortir aussi finalement de lieux sévèrement gardés par un staff russe qui n’a pourtant pas l’air de plaisanter, sans même parler d’une scène totalement « wtf » et injustifiée à l’hôpital. Même si c’est assez courant au cinéma, géographiquement, que ce soit dans le Sud-Est ou à Paris, la topographie des lieux est aberrante, ce qui ne contribue pas à crédibiliser le « parcours » de Klara. Mais c’est bien le choix de la belle Olga Kurylenko qui plombe le plus le film, la jeune femme peinant à exprimer le moins trouble, voire le moindre sentiment, jusqu’à un sourire final qui s’avère de plus moralement ignoble.
Paradoxalement, si son scénario est catastrophique, Julien Leclercq livre un travail intéressant à la mise en scène, optant pour une inscription élégante de ses personnages dans des paysages amples, pour un rythme mesuré et un montage fluide, loin des excès pesants habituels au cinéma d’action. On se souvient alors qu’on avait remarqué le même talent dans certains de ses films précédents (Braqueurs, en particulier, honnête série B bien menée), qui souffraient eux aussi de scénarios très faibles.
Bref, on sortira de ces quatre-vingts minutes qui, paradoxalement, auront paru en faire le double, avec la seule satisfaction – oui, c’en est une ! – de voir en 2021 le « héros » macho d’antan enfin remplacé par une femme qui sait cogner aussi bien que lui, et qui se passe allègrement d’hommes dans sa vie. C’est une bonne nouvelle, mais elle ne suffit pas à rendre le film regardable.
Eric Debarnot