Oh, voilà un petit bouquin (de poche) qui ne paye pas de mine, avec son smiley qui tranche avec son titre un peu provocateur : « Je n’aime que la musique triste » ! Et voilà pourtant l’un de ces ouvrages précieux dont on a l’impression, à chaque page, qu’il vous parle parfaitement de votre vie.
« J’avais échangé quelques mots au hasard d’un concert avec le chanteur Jeffrey Lewis, et il m’avait dit comme une sorte d’oracle : « La malédiction de notre génération, c’est que nous allons voir mourir toutes nos idoles. Neil Young, David Bowie, Bob Dylan, on va tous les voir partir » ». Tomber sur cette phrase au détour d’une page d’un livre peut vous faire, pourvu que vous fassiez partie de cette cohorte étrange de gens pour qui la musique en général, le Rock en particulier, ont largement défini les contours de l’existence, penser qu’il a été écrit exactement pour vous. Et que son titre, Je n’aime que la musique triste, est le meilleur titre possible pour une collection de textes publiée en mars 2021, alors que le monde est dans l’état que nous connaissions.
Adrien Durand, dont on sait en général qu’il fait partie aujourd’hui de l’équipe des Inrocks, et beaucoup moins qu’il œuvre comme attaché de presse ou bien qu’il a eu un groupe de rock dont la renommée n’a atteint que peu de gens, a écrit 17 petits textes qui font comme une sorte de point sur « les choses de sa vie », comme on disait il y a bien longtemps, choses qui sont bien sûr, car c’est là le talent d’un véritable écrivain – ce que Durand est, sans le prétendre, et peut-être sans le savoir -, aussi celles de notre vie, que nous partagions ou non sa passion pour Gil Scott-Heron, David Berman, Guided by Voices ou Kanye West. Ces textes précieux, et même régulièrement bouleversants, ont été compilés par le Gospel, projet d’édition indépendant et bordelais, sous le format improbable et pratique d’une sorte de mini livre de poche, fort pratique ma foi pour glisser dans sa poche et le lire en faisant la queue devant le Bataclan quand il y aura à nouveau des concerts. Histoire de se remettre en mémoire des phrases comme : « Je me tenais à distance de la culture française car j’avais l’impression qu’elle m’aspirait, qu’elle (…) m’enfermait dans une identité que je n’avais pas choisie », ou encore « les choses les plus précieuses ne sont-elles pas celles qu’on garde pour soi ? »…
Car Je n’aime que la musique triste ne parle, loin de là, pas que de musique, triste ou gaie, même si la Musique, et l’Art en général est clairement un prisme tout-à-fait utile pour lire l’existence. A condition de ne pas en rester là. Et c’est bien le talent – presque le génie, à notre humble avis – de ces courts textes, aussi modestes qu’essentiels, de nous aider à faire nous aussi le point sur ce que nous avons été, sur ce que nous sommes. Sans jamais nous suggérer d’aucune manière ce que nous pourrions être, et encore moins ce que nous serons, à part un jour, forcément, quelques cendres à disperser. Et pour ce jour-là, Durand a déjà quant à lui laissé ses instructions : « Jouez ce que vous voulez à mon enterrement. Mais pas One More Time des Daft Punk, s’il vous plaît ».
Eric Debarnot
Adrien Durand – Je n’aime que la musique triste
Editeur : le Gospel – Collection : le Gospel de Poche
118 pages – 8,00 €
Date de parution : 24 février 2021 (tirage limité)
Disponible sur le site du Gospel
Adrien Durand signera son livre le samedi 13 mars chez Total Heaven à Bordeaux
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