Une jeune carioca renversée par un autobus lutte contre la mort entourée de ses amis. Une histoire racontée à la manière d’Antonio Lobo Antunes par une jeune auteure brésilienne pétrie de talent. Un bel hommage à la littérature lusophone.
Cette lecture me rappelle celle de Fado Alexandrino d’Antonio Lobo Antunes. J’ai retrouvé cette même façon de déstructurer le texte en racontant simultanément, par bribes, plusieurs histoires qui se mêlent, se mélangent, se rejoignent pour façonner l’intrigue principale du roman en laissant le soin au lecteur d’assembler ces parcelles d’histoires. Juliana Leite va peut-être moins loin qu’Antonio Lobo Antunes qui peut changer de sujet ou de narrateur à l’intérieur d’une même phrase. Elle, elle reste au moins quelques lignes sur le même événement, la même description, le même personnage… Mais, en contrepartie, elle va plus loin dans l’anonymisation du texte, les personnages ont très rarement un nom, ils sont définis par une caractéristique ou une fonction, elle ne nomme jamais les lieux, seuls les bus sont bien identifiés par le numéro de leur ligne, le lecteur sait seulement qu’il s‘agit du marché, de l’hôpital, du logement quitté, du chalet loué pour les vacances, …
C’est ainsi que Juliana Leite reconstitue, en mêlant les époques, en naviguant d’un lieu à l’autre, en évoquant un personnage et puis un autre, la vie de Magdalena, une jeune créatrice de tapisseries qui se retrouve dans le coma à l’hôpital après avoir été renversée par un autobus. Elle insère dan son texte, en italique, des petits passages qui évoquent le séjour de l’accidentée à l’hôpital, elle raconte les traitements subis pars la patiente, sa convalescence, sa vie avant l’accident, le retour à la maison, la rééducation, l’avenir qui s‘offre à elle. Ce texte, c’est le long chemin emprunté par les victimes d’un accident grave avec tout son lot de souffrances, d’espoir, de bonnes nouvelles, de doute et de séquelles à surmonter, à oublier ou peut-être à accepter pour vivre avec. Il évoque aussi l’énorme élan de solidarité déployé par l’entourage de la jeune fille : les tantes (les trois sœurs), Rai du matin, Rai du soir, le meilleur ami, l’employé de banque, les amis… toute une petite société évocatrice des classes populaires brésiliennes qui conjuguent parfaitement débrouille et générosité.
Ce roman c’est une histoire simple comme en naissent de nouvelles chaque matin mais aucune n’est racontée avec une telle empathie dans un tel style. Juliana Leite est une grande écrivaine, elle possède un art très affuté de la narration en interprétant son texte par bribes – « Mais tu aimais bien, tu aimes toujours, les histoires racontées par petits bouts… » – en ne le consacrant qu’aux impressions, aux ressentis, les personnages, les lieux, tout le reste n’est qu’accessoire. Le lecteur ne ressent que ce que la malade éprouve, que ce son entourage ressent et craint. Tous ces petits faits mis bout à bout constituent un tableau à la fois sensuel et réaliste de la société brésilienne de notre époque.
Accident, incident, suicide ? Le sujet n’est que sous-jacent dans ce texte en couleur où l’orange apporte régulièrement son chatoiement au fil des pages et même une odeur quand il s’étale au marché sur les fruits du marchand voisin de stand de la jeune tapissière. Bleu aussi dans la collection de scarabées bleus de la jeune fille. Un texte chatoyant comme les couleurs d’un défilé carioca un jour de carnaval. Une histoire de reconquête des mains, les mains qui servent aussi bien à tisser qu’à écrire, « Tisser et écrie, deux choses qui se font avec les mains ». Magdalena devra donc « Utiliser ses mains pour survivre ».
Denis Billamboz