Adaptation d’un drame théâtral à succès d’Henrik Ibsen, le premier tome de ce diptyque sombre et fantastique nous emmène au cœur de la Norvège d’antan, sur les traces d’un jeune rêveur dans une nature sauvage et majestueuse.
C’est l’histoire de Peer Gynt, fils de paysan et poète dans l’âme. Faisant fi de la réalité, le jeune homme exalté a des rêves plein la tête, aussi vastes et élevés que les montagnes qui l’entourent. Indomptable, inaccessible et imprévisible, il brise le cœur des femmes et provoque la haine des hommes…
Avec cet ouvrage plutôt bluffant, Métamorphose continue à construire son édifice de fort belle façon. Cette fois, la prestigieuse collection des éditions Soleil a fait appel à Antoine Carrion, qui jusqu’à présent, avait toujours travaillé avec un scénariste. Celui-ci se lance pour la première fois en solo en adaptant un drame poétique de l’auteur norvégien Henrik Ibsen, qui le porta également au théâtre.
La couverture, splendide, résume parfaitement l’histoire. Jugé sur une colline, le jeune Peer Gynt apparaît en contre jour, comme auréolé du croissant de lune le surplombant sous un ciel tourmenté. Vue de dos, une jeune fille le contemple sans pouvoir le rejoindre, on la devine amoureuse et éperdue.
N’ayant pas lu l’œuvre originale, je ne saurais dire si cette adaptation comporte une valeur ajoutée. En son temps, le poème aurait paraît-il fait polémique en heurtant par son côté caricatural et ses charges satiriques. Autant le dire de suite, on ne perçoit pas vraiment cela dans l’adaptation de Carrion, qui a d’abord produit ici un récit fantastique où prime beaucoup l’aspect graphique. Et en effet, c’est bien cela qui stupéfie le lecteur d’emblée. Ces paysages d’une Norvège sauvage sont à couper le souffle, dans un noir et blanc tout en ombres, brumes et lumières, qui évoque à la fois les peintures romantiques du XIXe siècle ou les gravures de Gustave Doré, le tout revisité digitalement. On pourra trouver cela un poil trop léché, mais l’esbroufe n’est pas de mise pour autant. On est avant tout ébloui par tant de beauté et de talent. Peut-être au détriment des personnages, à l’allure plus classique. Les visages, assez peu expressifs, peinent à susciter l’émotion, mais on aime tout de même bien ces affreux trolls.
Quant à la narration, elle souffre d’un début un peu confus et fastidieux, et c’est peut-être le point faible de l’album. Il faudra attendre le tiers du livre pour se laisser embarquer dans les pas de ce jeune homme fougueux et arrogant qu’est Peer Gynt. Le texte d’origine, dont la poésie prend parfois le pas sur la lisibilité, n’y est peut-être étranger, mais ce début manque sans doute d’une accroche convaincante. Heureusement, le récit va monter en puissance dès lors que notre héros poète croisera sur sa route la jeune trolle dont il va tomber amoureux et qui l’emmènera dans son royaume… réel ou imaginaire, puisque nous l’avons dit, Peer Gynt a tendance à confondre ses rêves avec la réalité…Au fil des pages, on finira par s’attacher à ce personnage de doux dingue qui lui ne veut s’attacher à personne, d’une certaine façon admirable dans son délire mythomane et égoïste, malgré son incapacité à aimer en retour les femmes qui en tombent amoureuses. A la fin de ce premier volet, on perçoit que la dure réalité va commencer tout doucement à le rattraper avec la mort de sa mère, qui donnera lieu à la scène la plus touchante. Une fois encore, le jeune homme prendra la fuite, d’abord parce que les villageois haïssent cet être différent et provocateur dans sa quête de liberté et d’absolu, et qu’ensuite cela le conforte dans son désir irrépressible de découvrir le monde.
Ce premier acte se termine ainsi sur une promesse de voyage, avec cette magnifique dernière case représentant un trois-mâts émergeant de la brume d’un fjord. Et contre toute attente, nous donne follement envie de poursuivre l’aventure, « et bien plus loin encore », avec notre poète insoumis dont on a envie de partager le rêve pur…
Laurent Proudhon