Fruit Bats fêtent leurs noces de porcelaine en participant chacun de leur côté, confinés, à la construction d’un neuvième album un peu plus dépouillé, mais toujours franchement positif : oui, ce folk-rock regorgeant de mélodies exubérantes vous fera du bien !
Oui, cela fait déjà 20 ans qu’Eric D. Johnson prêche la bonne musique dans un désert – heureusement de moins en moins hostile, quand même, avec son projet Fruit Bats.
The Pet Parade, neuvième album studio de Fruit Bats, est l’un des plus dépouillés, sans doute plus folk-rock que indie pop, si l’on veut absolument mettre des étiquettes sur tout, ou en tout cas moins porté sur les mélodies chatoyantes et plus sur les mots (même si Johnson a heureusement la sagesse de jamais se prendre pour un poète ou un prêcheur…). Effet confinement ? Même si les compositions datent d’avant la pandémie, on nous explique que chaque musicien du groupe a dû enregistrer ses parties séparément, et l’on imagine bien que cela n’aide pas à construire un album où l’enthousiasme et l’urgence seraient prépondérantes : par contre, là où Fruit Bats ne rate pas son disque de noces de porcelaine, c’est que ces circonstances difficiles ont donné naissance à une musique chaleureuse, un peu plus intimiste sans doute, mais jamais renfermée sur elle-même… un album qui a quelque chose même de… fédérateur.
Evidemment, The Pet Parade ne respire pas toujours franchement la joie de vivre : une phrase comme, sur Cub Pilot, « She is looking out the living room window / Watching Saturday become Sunday » (Elle regarde par la fenêtre du salon / Regarde samedi devenir dimanche…) va sans doute correspondre exactement à ce que vous ressentez en l’un de ces tristes week-ends où il n’y a pas grand-chose à faire… à part écouter de la bonne musique. Ce qui ne veut pas dire du tout qu’il s’agit là de l’un de ces albums austères qui ne réjouissent que les intégristes d’un folk droit dans ses bottes, en dépit d’une ouverture assez minimaliste – mais élégiaque – (la chanson The Pet Parade) qui évoquera tour à tour un jeune Dylan ou un Kevin Morby quand il se la joue plus rangé du rock ‘n’roll.
Il y a sur The Pet Parade pas mal de chansons immédiatement séduisantes, comme le brillant et direct Holy Rose, lancé en ballon d’essai avant la sortie de l’album, ou encore le pertinent Balcony, qui nous affirme que regarder le monde depuis son balcon n’est pas du tout être isolé : « Now alone again as usual / Out on the balcony / A two-point-eight is still a quake / And it can shake away what you believe » (Maintenant à nouveau seul comme d’habitude / Sur le balcon / Une secousse de 2.8 est toujours un tremblement de terre / Et peut t’ébranler dans tes convictions)… Des chansons où Fruit Bats n’ont pas peur de monter les curseurs émotionnels, d’aller titiller un lyrisme un peu facile, d’empiler les instruments et de faire briller les paillettes comme les yeux des fans de pop accrocheuse.
Peut-être est-ce la voix inhabituellement androgyne de Johnson – qui certes pourra indisposer – mais qui apporte une sorte d’ingénuité, qui autorise à cette musique des excès qui ne sombrent jamais dans le mauvais goût, mais vous donnent plutôt envie de chanter en chœur sur les refrains les plus généreux (Un On the Avalon Stairs peut même évoquer un Elton John juvénile !).
Bref, The Pet Parade dégage le sentiment bien agréable d’arriver sans effort à se tenir à parfaite équidistance entre l’introspection inévitable en ce moment, et la joie inentamée de partager ces sensations ainsi que le monde, dans quelque état qu’il soit, avec des milliers d’autres êtres humains touchés eux aussi par la belle musique. On peut qualifier ça de « feel good album », sans doute. Et on ne refusera pas l’expérience.
Eric Debarnot