Xavier Plumas et Tue-Loup continuent de constituer une discographie exigeante et savamment lettrée comme un raout improvisé entre Abbey Lincoln, John Coltrane et Bill Callahan. La Peau Des Arbres semble poursuivre le chemin entamé par Josephine Foster comme si la grâce était enfermée entre les quatre murs d’un vieux honkatonk enfumé. Une réussite !
Et si on pouvait quelque part scinder les artistes entre deux catégories ? D’un côté les putassiers, de l’autre, les intègres. Je m’explique : certains artistes n’hésitent pas de disque en disque à se contredire pour mieux se reconstruire au point de se médire, plutôt que d’aller vers le consensus et de tomber dans la compromission. Pour ceux-là, la seule chose qui compte c’est de plaire et de durer même si parfois on perd de son intégrité en cours de route. Ceux-là ne sont que charme et rondeur. Et puis il y a les autres, ceux qui écrivent de la musique non pour plaire mais pour exister et pour créer du sens, pour faire sens. Ceux-là n’ont que faire de votre avis ou de ma modeste critique. Ils n’écrivent pas pour vous mais parce qu’ils n’ont pas le choix.
Xavier Plumas avec ou sans Tue-Loup est de cette dernière catégorie. Toujours à la marge d’un vrai succès public, il poursuit une carrière où il assume une intégrité et une exigence sans cesse renouvelée. Mêlant des influences disparates, jouant avec une plume et une écriture conjuguant à la fois classicisme et goût des dérives, Xavier Plumas a un univers singulier et unique dans le paysage musical français. Pouvant aussi bien tomber dans une description toute naturaliste que dans des élucubrations symbolistes ou dans un humour noir, Xavier Plumas a cette science de l’écriture du même niveau qu’un Pascal Bouaziz ou un Dominique A. Ce ne sera pas ce douzième album, La Peau Des Arbres, qui viendra contredire cette évidence. On remarque encore une fois cette volonté à vouloir arrondir son propos, démarche entamée avec Ramo (2016). On laisse de côté ici une austérité toute janséniste pour des chansons au plus près des mots.
Depuis les débuts de Tue-Loup, on sent une volonté à faire se rencontrer une certaine idée de la chanson réaliste à la Française avec un Folk sec, à faire s’acoquiner Musette, Gouaille toute populaire avec une langue précieuse. Toujours accompagné du guitariste fidèle Thierry Plouze, Xavier Plumas semble libéré d’un poids, comme s’il s’était affranchi de quelque chose, d’un enjeu ou d’une envie de reconnaissance. Il a bien compris que ceux qui l’aiment le suivent, car aimer c’est comprendre.
Une fois encore, on retrouve ici le goût des cuivres cher à Tue-Loup, on se rappelle de la collaboration du groupe avec le multi-instrumentiste Renaud Gabriel Pion. Cette fois-ci, c’est Cédric Thimon croisé aux côtés de Thomas Belhom par le passé qui apporte une couleur presque free jazz à Sueur, Ard Almead ou encore Black Is The Color Of My True Love’s Hair. La Peau Des Arbres est un disque à la fois très cohérent et très disparate, changeant, passant du français à l’anglais, d’un climat à un autre, d’un folk que ne renierait pas Jason Molina à une valse perturbée (Les Beaux Jours). Xavier Plumas, au sein même de son écriture semble jouer avec la désuétude et l’académisme, les mots sont d’une simplicité absolue allant droit au but, sans fioriture ni ombre de traverse.
Tue-Loup, c’est une auberge espagnole aux portes grandes ouvertes, des musiciens entrent, d’autres sortent, Xavier Plumas n’hésitant pas à braquer le projecteur sur un autre que lui. On pourrait citer la présence d’Astrid Veigne sur Black Is The Color Of My True Love’s Hair qui donne à la reprise des accents de dialogues. Tue-Loup tente et expérimente tout au long de ce disque audacieux comme sur le superbe Supramonte, tout en tensions et rondeurs, porté par une harpe discrète. Il faudra insister sur la présence décisive d’Alexandre Berton à la batterie qui apporte tant à l’identité de ce disque volontiers complexe mais ô combien attachant.
La Peau Des Arbres est un disque rural sans jamais être bucolique ni champêtre, il raconte un autre temps, une autre manière de percevoir la vie, une acceptation de la contemplation, une acuité accrue au petit détail, une conscience du caractère précieux de ce que vous jugez inutile, une dispense du superflu. Large Ciel ou Siagne à eux-seuls sont comme des manifestes. La musique se fait ici mouvement d’un pinceau, le regard transperce sous les mots, l’aquarelle se dessine lentement. C’est vrai aussi qu’il y a du Julien Gracq dans La Peau Des Arbres, du Henri Bosco du Mas Théotime (1945) du Marcel Aymé de La Vouivre (1943). Les petites rivières deviennent des territoires d’exploration, des exotismes du voisinage, des terra incognita de la proximité.
Xavier Plumas signe avec La Peau Des Arbres un disque à la fois contemplatif et nerveux, tortueux et clair, ombrageux et accueillant, le geste affirmé d’un artiste intègre qui n’a finalement que faire de vous plaire car il a compris et accepté ce qu’il est, le créateur d’une œuvre essentielle.
Greg Bod